Espaces croisés : des ateliers réguliers pour croiser les points de vue
« Mais quel(s) bruit(s) dans les établissements scolaires !? », c’est la question que nous nous sommes posés lors de notre premier atelier « Espaces croisés ». Rassemblant une trentaine de participants issus des collectivités territoriales, de la recherche, des entreprises spécialisées en acoustique ainsi que des cadres académiques et des enseignants, cet atelier a permis de partager réflexions et retours d’expériences sur la question de notre rapport au(x) bruit(s) en classe et dans les établissements scolaires.
Espaces croisés, des ateliers réguliers pour croiser le point de vue des praticiens, des chercheurs, des architectes et aménageurs, des collectivités territoriales. Partager des connaissances scientifiques et techniques, les confronter aux retours d’expérience du terrain, chercher des solutions pour avancer ensemble vers l’ « école de demain ».
Espaces croisés #1 : mais quel(s) bruit(s) dans les établissements scolaires !?
Qui n’a jamais été dérangé par le bruit environnant ? Qui n’a jamais rêvé de calme, de tranquillité, de concentration et donc, à tort ou à raison, de silence ? Ceci dit, qui n’a jamais fait face à un silence gênant ? Un silence « de mort » ?
Est-ce que tout silence est bon à prendre ? Est-ce que tout bruit est bon à jeter ? En d’autres termes, y a-t-il du « bon » bruit et du « mauvais » bruit ? Avons-nous tous et toutes le même rapport, la même sensibilité au(x) même(s) bruit(s) ? Comment articuler nos différents besoins et manières de fonctionner pour vivre et apprendre ensemble ? Comment le bruit influence-t-il les conditions d’apprentissage ? Et comment l’architecture scolaire, les aménagements spatiaux et acoustiques peuvent-ils influencer positivement l’attention, le confort de travail et les apprentissages ?
Que nous raconte l’Histoire ?
Le bruit à l’école, une question inscrite dans des enjeux sociaux, culturels et politiques
Pascal Mériaux est enseignant en histoire-géographie au lycée La Martinière-Duchère de Lyon. Il est également IAN en histoire-géographie et membre de la cellule BEA
Le désir de se protéger du bruit s’est développé dans la société française à partir du XVII°-XVIII° siècle, en parallèle de la question naissante de l’intimité. Le développement du courant hygiéniste au 19° siècle et les problèmes de santé des ouvriers liés au bruit incitèrent les médecins et scientifiques à s’interroger sur les conséquences de ce phénomène sur la santé.
Le silence devint un droit reconnu dans la première moitié du XX° et dès lors, les réglementations et mesures de protection se renforceront constamment notamment sous la poussée des classes éduquées et socialement favorisées.
La définition et la gestion du bruit se sont inscrites, à travers l’Histoire, dans des considérations de santé publique, avec des impacts socio-économiques importants. Dans ce contexte, on voit qu’évoquer les conséquences du bruit dans les établissements scolaires renvoie à des questions sociales, culturelles et politiques.
Que nous racontent les bruits de couloirs ?
Silence = apprentissage efficace ?
Le point de vue du chercheur
Sylvain Connac est maître de Conférences en Sciences de l’Education, à l’université Paul Valéry-Montpellier 3. Ses recherches explorent les organisations pédagogiques de coopération entre élèves et la personnalisation des apprentissages
En s’appuyant sur ses recherches liées aux conditions de la coopération en classe, à son lien aux apprentissages et à la différenciation pédagogique, Sylvain Connac appelle à distinguer trois notions distinctes :
→ le bruit qui parasite l’attention de l’élève
→ le silence lorsqu’on n’entend aucun bruit en classe
→ et, entre les deux, le calme qui correspond au bruit de fond lié à l’activité ordinaire mais qui n’est pas gênant pour se concentrer.
Dans quelle mesure l’organisation spatiale de la classe peut-elle favoriser ce phénomène de calme ?
Les travaux menés montrent que l’organisation en îlots tend à générer un niveau de bruit et d’agitation supérieur à la classe en autobus, qui doit être régulé par des gestes professionnels et des outils adaptés. Par ailleurs, l’organisation en ilots, si elle est plus favorable à la coopération et à l’entraide, peut être difficile à vivre pour certains élèves et perturber la concentration. D’une part parce que les plus fragiles sont souvent plus sensibles aux parasites attentionnels (bruit, mouvement). D’autre part parce que la situation de face-à-face permanent incite à la communication interpersonnelle et également à une forme de surveillance généralisée (à l’instar des open spaces). En termes de concentration et d’attention, la configuration traditionnelle, en « rang d’oignons » est tendanciellement plus favorable à la concentration individuelle.
Il est donc intéressant de varier les configurations de classe en fonction des objectifs pédagogiques et du niveau de calme que l’on veut instaurer. Dans le même ordre d’idée, l’organisation en « classe flexible » est à aborder avec discernement car le niveau de bruit induit par les déplacements de mobilier et la mobilité des camarades peut nuire à la concentration des élèves, en particulier les plus vulnérables sur le plan attentionnel. Les observations montrent que les élèves les plus « scolaires » disposent des capacités les plus fortes pour faire abstraction des parasites sensoriels et émotionnels induits par ces configurations incitant à la communication et au travail actif et collectif.
Pour « assurer le calme » en classe et protéger les élèves sensibles, en particulier dans des organisations en ilots et flexibles, l’enseignant a différents outils à sa disposition :
→ instaurer un « code de bruit »
→ adapter le mobilier
→ ritualiser un signal sonore doux pour indiquer les changements de temporalité pédagogique
→ mettre en place un permis de déplacement
→ permettre aux élèves d’utiliser des bouchons d’oreille pour préserver leur « bulle de concentration »
→ sans oublier d’être lui-même exemplaire : on observe en effet un phénomène de porosité entre le niveau de calme de la classe et le niveau sonore de l’enseignant. Il est donc nécessaire que l’adulte veille à son propre niveau sonore en s’astreignant par exemple à parler doucement.
Le point de vue de l’enseignante
Caroline Aiello-Brottet est enseignante en SVT au collège Jean-Philippe Rameau de Champagne au Mont-d’Or. Elle est également formatrice au pôle DFIE de l’académie de Lyon et membre de la cellule BEA
Pour Caroline Aiello-Brottet, l’héritage historique de l’enseignant induit l’idée que la maîtrise du silence des élèves par l’enseignant est le garant d’un bon apprentissage, d’une « réussite en étude ». Dans cette logique, le silence dans la classe est lié au maintien de l’élève, qui doit se tenir droit et immobile. Et également à l’organisation physique de la classe. Ainsi, silence et immobilité forment dans l’imaginaire enseignant un couple idéal pour un apprentissage efficace.
Cependant, l’évolution vers des pédagogies actives et les apports scientifiques amènent à déconstruire ce modèle. « L’apprentissage ne se mesure pas au nombre de décibels dans la classe » mais au maintien de l’engagement de l’élève dans ses apprentissages. Ce qui passe par des dispositifs didactiques et pédagogiques favorables à l’attention, à la concentration et à la mémorisation active. Certains enseignants participant aux échanges confirment que le silence n’est pas un indicateur fiable de concentration et d’apprentissage, il peut être synonyme d’ennui et de désengagement.
Sur la base de sa pratique personnelle et des formations qu’elle dispense, Caroline Aiello-Brottet préconise ainsi de matérialiser les moments des apprentissages par des rituels en « double entonnoir » afin d’orienter l’attention des élèves. L’enseignant doit apprendre à gérer les transitions entre phases de travail individuel en silence versus phases de travail actif plus sonore et mobile, par exemple en signalant aux élèves l’objet d’attention, le moment, la durée et en expliquant la manière d’agir. Il s’agit pour l’enseignant de construire et d’adapter un climat de classe selon les situations didactiques, le niveau sonore autorisé étant un des paramètres.
Un établissement bruyant = dans lequel on ne se sent pas bien ?
Le point de vue de la collectivité territoriale · Le point de vue du chef d’établissement
Véronique Richalet est Directrice de projet Innovation et Performance au Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes. Elle travaille depuis plusieurs années sur les évolutions du « lycée de demain »
Pierre Ronchail est le proviseur du nouveau lycée Docteur Charles Mérieux qui ouvre ses portes en septembre 2021 à Lyon dans le quartier de la Confluence. Ce lycée a fait l’objet d’une conception spécifique et comporte de nombreuses innovations spatiales et numériques
Pour les intervenants, l’objectif n’est évidemment pas d’insonoriser tout l’établissement et d’instaurer un silence généralisé, mais bien de viser un confort acoustique tenant compte des caractéristiques et usages des différents espaces destinés aux apprentissages.
Comme l’explique Véronique Richalet, la question de l’aménagement acoustique des établissements scolaires est d’ores et déjà prise en compte par les collectivités, avec des programmes constructifs très exigeants sur le plan réglementaire (isolation du bruit extérieur, isolation phonique entre les différents locaux, gestion du bruit induit par les souffleries…). Pour le maître d’ouvrage, le facteur déterminant dans le traitement d’une salle de classe est le choix des matériaux qui ont un effet induit sur la réverbération sonore.
Supervisant actuellement le chantier du nouveau lycée de Lyon, Pierre Ronchail illustre la mise en oeuvre de ces principes dans un contexte fortement contraint : proximité d’un environnement urbain très bruyant, espaces extérieurs réduits faute de foncier dans l’enceinte de ce lycée, bâtiment sur six étages. La question de la qualité acoustique est une des préoccupations importantes concernant la restructuration en cours des bâtiments. Certains espaces flexibles seront d’ailleurs équipés de cloisons mobiles. Au-delà, il estime en tant que chef d’établissement qu’un certain niveau de « bruit pédagogique » est positif en ce qu’il est un signe de vie de l’établissement et peut même constituer un indicateur de climat scolaire.
Le point de vue d’une entreprise spécialisée sur les questions acoustiques
Franck Fumey est PDG de la société Continuum Solutions acoustiques. Expert des questions acoustiques et des solutions techniques associées, il accompagne des établissements scolaires et des collectivités territoriales dans la gestion acoustique des espaces scolaires
Parlant de ce qu’on appelle « le bruit », plusieurs constats sont à rappeler comme l’explique Franck Fumey : d’une part l’ouïe est le seul de nos cinq sens qui n’est jamais au repos y compris la nuit. D’autre part, la pollution sonore entraîne des maux et une décroissance de la performance intellectuelle (perte d’attention, maux de têtes, troubles du sommeil…).
Sa société, qui a acquis une expertise au sein des établissements scolaires, préconise en premier lieu de mieux prendre en compte la dimension humaine et la réalité des activités scolaires dans la conception acoustique des espaces d’apprentissage. En effet, dans les mesures physiques du son, la réverbération sonore est calculée sans activité humaine. Par ailleurs, les produits acoustiques classiques ne prennent pas en compte à l’heure actuelle le fait que ce sont les basses fréquences qui sont les plus nocives pour la performance intellectuelle (bruit du vidéoprojecteur ou d’une climatisation par exemple).
Face à ces constats, l’approche innovante proposée aux collectivités et aux établissements par Continuum Solutions Acoustiques est de mettre en place des solutions de nouvelle génération avec dissipation mécanique du son. Ceci consiste à travailler sur la création d’une ambiance sonore équilibrée et naturelle à l’échelle de l’espace dans toutes ses dimensions, et donc de ne pas proposer que des éléments acoustiques pour les plafonds.
Clap de fin… jusqu’au prochain atelier
Á l’issue des échanges, interrogés sur les idées qui permettraient de mieux gérer le bruit dans l’école de demain, les participants pointent le caractère multidimensionnel de la question et la nécessité d’une approche globale et systémique à l’échelle de l’établissement. Un accompagnement des enseignants est nécessaire, non pas sur la question de la gestion du bruit mais en lien avec la gestion de classe, le climat de classe et le lien avec le climat scolaire dans l’établissement.
Les questions liées à l’appropriation et aux usages du bruit à l’échelle d’un établissement scolaire vous intéressent ? Découvrez notre dossier thématique dédié à ces questions !