Quelles pratiques pédagogiques peuvent émerger grâce aux « classes laboratoires » ? Quels sont les atouts et les éventuels freins de ces salles modulables sur le plan pédagogique ?
Telles sont les questions qui ont guidé l’atelier dédié à l’enseignement dans les salles laboratoire, réalisé dans le cadre des deux journées de séminaire Terrains d’Apprentissage organisées les 20 et 21 octobre 2021 par la cellule BEA. Cet atelier a permis de proposer aux participants de vivre une situation pédagogique dans une classe laboratoire. Après un moment dédié à la découverte de la salle et de son mobilier, ils ont été amenés à faire appel à leur imagination. S’ils avaient accès à cette salle et à ce mobilier pour faire cours avec leur classe, quelles utilisations en feraient-ils ? Les participants ont ainsi été conduits à mettre en évidence les atouts et les inconvénients de ce type de salle de classe, ainsi que les interrogations pédagogiques liées à l’utilisation de cet espace. Après un temps d’exploration individuelle, il s’agissait de réfléchir seul puis en groupe aux gains et aux freins d’un espace scolaire de ce type, en mêlant leurs expériences personnelles, leurs pratiques pédagogiques ainsi que celles de leurs collègues.
Innover sous contrainte : place à la créativité !
Des contraintes spatiales et institutionnelles à la mise en place de salles lab
Le premier constat partagé par les intervenants concerne les contraintes spatiales et institutionnelles liées à la création de telles salles. Quand elles existent dans leurs établissements, elles ont été créées dans des salles qui étaient sous utilisées, par exemple une ancienne salle de CDI ouverte sur la cour de récréation. Mais dans la plupart des établissements, rares sont les salles disponibles. Et pour monter une salle lab, il faut une superficie suffisante pour permettre aux élèves et aux enseignants de circuler et de réagencer le matériel. Dans les salles de classe ordinaires, les enseignants peuvent essayer de changer la disposition des tables et des chaises, mais ils sont contraints et limités par la petitesse des salles. Pour les enseignants participant à l’atelier, les salles de classe actuelles ne sont pas adaptées aux évolutions de leur pratique pédagogique. Or modifier les pratiques pédagogiques sans modifier les salles s’avère souvent inefficace, affirment-ils : il faut pouvoir mettre en pratique les nouvelles idées dans des salles adaptées, qui favorisent en retour la créativité. Innovation pédagogique et innovation spatiale se renforcent mutuellement !
Volontarisme pédagogique et conflits d’usage
C’est pourquoi certains enseignants souhaitent ne plus travailler uniquement dans des classes « en autobus », qui ne correspondent plus à leurs pratiques pédagogiques. Mais ils sont alors souvent confrontés au refus de leurs collègues qui souhaitent continuer à enseigner devant un tableau, face à la classe. Il peut alors y avoir des conflits d’usage des salles au sein de l’établissement. En outre, les collectivités territoriales ne souhaitent pas toujours investir pour mettre en place des salles lab dans les établissements dont elles assurent la construction et l’aménagement. Les enseignants présents ont évoqué la difficulté de mettre en pratique l’enseignement et l’expérimentation en salle lab : une vraie « galère », pour certains !
La salle numérique : frein ou atout ?
Après maintes réflexions et discussions sur les freins et les atouts des salles lab – à l’image de celle dans laquelle les participants évoluaient pendant l’atelier -, c’est la question numérique qui s’est imposée comme étant le principal enjeu. L’usage d’outils numériques est conditionné à l’existence de prises électriques en nombre suffisant, et à l’autorisation qu’ont les élèves de faire usage de leur propre matériel numérique, en particulier de leurs téléphones portables. Car si les élèves n’ont pas l’autorisation de recharger leurs téléphones dans les salles, l’usage pédagogique du téléphone, des tablettes et des ordinateurs portables est inenvisageable. De même, si les prises électriques sont peu nombreuses ou toutes situées aux mêmes endroits de la salle, le mobilier ne peut pas être déplacé autant qu’il le pourrait. Ainsi, en fonction de l’équipement de la salle en prises électriques et en appareils électroniques nomades, ainsi que des règlements intérieurs des établissements, l’aspect numérique de la salle lab peut constituer un atout comme un frein. De cette réflexion collective émerge l’idée que l’aménagement de l’espace et l’utilisation d’outils numériques vont de pair. D’où l’importance de bâtir son cours selon les possibilités données par la salle de classe.
Le scénario pédagogique écrit pour bâtir la séance doit tenir compte à la fois de l’espace, du mobilier, de la disposition et de la disponibilité ou non du numérique
Autonomie des élèves et situations d’apprentissage
Une plus grande autonomie pour les élèves…
Le gain majeur souligné par les participants est la plus grande autonomie des élèves, favorisée par le fonctionnement de la salle lab. La mobilité du mobilier facilite la formation de groupes de travail, car il est alors aisé de déplacer les tables et les chaises. Surtout, l’agencement de la salle et les différents espaces qu’elle propose permet à chacun d’évoluer selon son rythme et de choisir le lieu et la position de travail qui lui correspondent. La salle lab prend davantage en compte les corps des élèves et leur circulation dans l’espace, et respecte mieux le rythme des élèves dans leur diversité, en les autorisant à choisir leur position. Ceux qui veulent travailler par terre, allongés ou en tailleur, ou qui ont du mal à tenir assis et préfèrent travailler debout, ou encore ceux qui préfèrent travailler de manière classique, seuls et assis à un bureau… tous y trouvent leur compte !
La salle lab permet également de mettre en place les « ilots bonifiés » : les élèves peuvent travailler seuls et en commun, réfléchir et délibérer, avant de faire valider par le professeur, davantage disponible pour répondre aux différents besoins des élèves. L’autonomie et la responsabilité des élèves sont favorisées et valorisées, tandis que leurs idées et leurs connaissances sont mises en valeur et peuvent être médiatisées grâce à l’usage du tableau du professeur, désacralisé. Les élèves qui ont le mieux compris peuvent alors expliquer aux autres, et c’est la verticalité du tableau qui permet à un enfant qui a compris de valoriser sa compréhension et d’aider ses camarades. Par ailleurs, la création de cartes mentales en groupe, grâce au tableau et à la contribution des élèves eux-mêmes, est alors d’une plus grande efficacité.
… qui n’exclut pas une posture de contrôle de l’enseignant et une certaine magistralité des cours
Cependant, ces petits espaces connectés et favorisant l’autonomie des élèves peuvent avoir l’inconvénient d’échapper au regard de l’enseignant. Celui-ci doit pouvoir lâcher prise et accepter de ne pas être en mesure de contrôler tout ce que les élèves font à chaque instant : dans les salles lab, comme dans les classes en autobus, l’enseignant est ni omniscient ni doué d’ubiquité. Les participants s’accordent sur le fait que cet idéal d’autonomie n’est pas toujours possible, et que certains groupes classe ne s’y prêtent pas. La posture de lâcher-prise n’a pas toujours du sens, et dépend du contexte de chaque séquence. L’espace de liberté accordé dépend ainsi de l’intérêt pédagogique qu’il peut avoir pour les élèves. Ainsi, l’aménagement favorisant l’autonomie doit avant tout être au service des apprentissages et non un principe en soi. La posture de contrôle peut être nécessaire et légitime dans certaines situations où les élèves ne jouent pas le jeu et en profitent pour faire autre chose. Une solution peut alors être de responsabiliser davantage les élèves, en leur faisant signer une charte d’utilisation qui les engage, ainsi que l’enseignant, voire les parents d’élève. Ces chartes permettent d’être protégé en cas de problème, étant donné qu’il est impossible pour le professeur d’être partout en même temps.
L’aménagement doit avant tout être au service des apprentissages
Un autre inconvénient mis en évidence par les participants à l’atelier réside dans la difficulté à mettre en place des règles de travail en groupe. La mise au travail et l’attention des élèves peuvent être altérées dans une salle lab. Les participants précisent néanmoins que la dimension magistrale du cours, indispensable pour exposer les consignes de travail et fournir la parole validée du professeur sur ce qui doit être compris et su par les élèves, est tout de même possible et souhaitable dans une salle lab ! Une salle lab est justement une salle où la configuration peut changer facilement, et permettre de passer aisément d’un temps de consigne ou de formalisation magistrale, à des temps de travail individuel ou collectif.
La salle lab n’évacue pas la forme magistrale, mais lui permet de se déployer dans les moments où elle fait sens
Un autre frein consiste alors à gérer les situations où tous les élèves n’avancent pas à la même vitesse : le risque est de perdre les plus fragiles dans les activités, la différenciation pédagogique prenant une toute autre dimension en classe lab. La classe lab n’est pas une réponse en soi à tous les problèmes éducatifs et pédagogiques. Le scénario proposé par la salle lab apporte des réponses en termes d’espace et de mobiliers. Mais si un support pédagogique n’est pas pensé en amont pour différencier, certains élèves seront perdus, que l’on soit dans une classe en autobus ou en classe lab. La salle lab permet d’apporter des réponses pédagogiques en termes d’espace.
La classe lab n’est pas une réponse en soi à tous les problèmes éducatifs et pédagogiques
Un nouvel espace-temps scolaire
Contrainte temporelle et organisationnelle
« Un cours de 50 minutes, c’est trop court pour faire des choses différentes » souligne une participante de l’atelier. Le temps en classe et les expériences pédagogiques qui peuvent y avoir lieu sont limités par l’emploi du temps et les contraintes de salle. Repenser l’espace scolaire oblige à repenser le temps scolaire, par exemple en créant des plages de cours plus longues. Avoir deux heures d’affilée dans une classe lab change toute la séance, car la mise en place est déjà faite, et l’activité a le temps de se déployer. Les élèves ont le temps de s’approprier l’espace, de se positionner comme ils le veulent, une fois les consignes et les règles exposées.
Repenser le temps scolaire, c’est aussi revoir les emplois du temps des enseignants de manière à ce qu’ils prennent en compte le temps de travail entre professeurs, indispensable pour mener à bien des expérimentations pédagogiques en salles lab. Faire vivre des projets dans des lieux partagés implique de travailler avec le reste de l’équipe pédagogique. En effet, les élèves prennent vite le pli des innovations pédagogiques, et en particulier du fonctionnement en salle lab, d’autant plus si cette forme d’enseignement est partagée avec les autres membres de l’équipe pédagogique. Lorsque ce n’est pas le cas, c’est alors aux élèves de faire l’effort de rentrer dans ce nouvel espace-temps dont ils n’ont pas l’habitude et ne connaissent pas les codes, contrairement à la salle autobus à laquelle ils sont majoritairement habitués. L’enjeu consiste alors à accoutumer les élèves à ce type d’espace alors même qu’il y a peu d’heures de cours avec les élèves et un temps de coordination pédagogique qui n’est pas compris dans les emplois du temps et les services.
Accepter de perdre du temps… pour en gagner !
Travailler efficacement en salle lab demande ainsi un temps de partage avec les autres membres de l’équipe pédagogique, mais aussi un temps de préparation important, pour imaginer en amont les usages qui peuvent être faits de la salle et du matériel. Pour optimiser le temps passé en salle lab, une possibilité est de proposer une séquence d’accueil différenciée, et de fournir lors de la séance précédente les consignes et la formalisation du cours, distribuées en amont. Car l’important est avant tout de finir le cours, et que les élèves repartent avec une formalisation de celui-ci ainsi qu’une trace écrite de ce qu’ils ont appris durant la séance, validée par le professeur.
De plus, l’espace amène à des configurations différentes, et augmente le temps de déplacement de l’enseignant, qui circule de groupes en groupes et d’élèves en élèves. Pour les participants de l’atelier, il faut accepter de perdre du temps sur les premières séances, notamment du temps de déplacement et du temps de concentration des élèves au début du cours. Un enseignant explique qu’il attend que tout le monde soit concentré avant de commencer à exposer les consignes, sans quoi il faudra les répéter plus tard : cette perte de temps initiale s’avère être un gain de temps à l’échelle de la séance entière. Enseigner en salle lab requiert ainsi d’accepter de perdre du temps en amont de la séance et en préparant les cours, in situ en prenant le temps d’expliquer les consignes et en circulant entre les groupes, et même en aval, en récapitulant ce qui a été vu via l’ENT ou au cours de la séance suivante.
Les salles Lab, galère ou opportunité pédagogique ?
Les participants à l’atelier soulignent au final les principaux freins et atouts de l’enseignement en salle lab, qui permet de nombreuses innovations pédagogiques plus respectueuses de la diversité des élèves, et permet de les responsabiliser, de les rendre autonomes et de valoriser le processus d’apprentissage. Cette innovation au sein de la forme scolaire traditionnelle combine le temps, l’espace et le matériel à disposition, dans des salles équipées et modulables dont l’ensemble des possibilités offertes dépasse au final, pour eux, le poids des contraintes.
Pour aller plus loin :