Comment monter un projet d’équipe en établissement en vue d’y transformer un espace d’apprentissage ? C’est la question que nous nous sommes posés lors d’un des ateliers proposés dans le cadre des deux journées de séminaire Terrains d’Apprentissage, organisées les 20 et 21 octobre 2021 par la cellule BEA. À cette occasion, Caroline Aiello-Brottet, enseignante en sciences de la vie et de la terre et chargée de mission à la DFIE-DRANE Lyon a expérimenté une démarche « parcours utilisateur » pour animer cet atelier immersif au plus près du réel.
Pour ce faire, elle nous a proposé de réfléchir en petits groupes autour de quatre personnes fictives ayant chacune en tête un projet, lui aussi fictif, de transformation des espaces d’apprentissage :
- Sara, élève de seconde et son projet d’un espace de travail et de vie
- Sophie, gestionnaire et son projet de self labellisé lycée E3D
- Hélène, professeure-documentaliste et son projet de CDI inclusif et bien-être
- Nestor, proviseur et son projet d’espace de travail pour les enseignants
Cela vous inspire ? Vous donne envie d’en savoir plus ? Alors c’est parti pour un petit aperçu de la méthodologie utilisée. Puis nous vous partagerons les résultats de chaque sous-groupe.
Un « parcours utilisateur » pour monter un projet d’équipe
Monter un projet d’équipe dans un établissement scolaire peut s’avérer être un parcours du combattant, semé de freins, voire de portes bien fermées ne nous laissant d’autres choix que d’essayer de les contourner. Pour pouvoir avancer et mener à bien un projet, connaître son écosystème est un point non négligeable pour savoir vers qui se tourner et s’appuyer, d’autant plus dans le cas d’un projet de transformation des espaces d’apprentissage qui nécessite généralement l’appui et la coopération d’un certain nombres d’acteurs dans un cadre bâtimentaire contraint.
Passer d’une dynamique d’équipe à la réalisation d’un projet d’équipe
« Comment passer d’une dynamique d’équipe à la réalisation d’un projet d’équipe ? Vous avez 1 heure ! » telle était la consigne donnée. C’est pire qu’une épreuve de philo au bac cette histoire penseront peut-être certains. Et bien soyez rassurés, personne n’a rendu copie blanche, bien au contraire !
Il faut dire que Caroline avait prévu du matériel pour nous inspirer et ne manquait pas d’énergie pour nous entraîner dans son fameux « parcours utilisateur ». Au programme, travail en îlots par sous-groupe de 3-4 personnes, chaque groupe disposant de grandes feuilles, de stylos de couleur, de post-it, de pastilles…
Et au centre de la table, de la documentation et notamment un « persona », c’est-à-dire une personne fictive dotée d’attributs et de caractéristiques sociales et psychologiques, dans la peau duquel chaque groupe s’est glissé pour réaliser l’exercice.
Imaginer un « parcours utilisateur »
Imaginer un « parcours utilisateur » à travers l’incarnation d’une entité extérieure et imaginaire commune, aka le persona, permet d’une part de se mettre en situation « réelle » et d’autre part de pouvoir travailler en groupe « d’inconnus » autour d’un projet commun.
Après avoir pris connaissance de son persona, chaque groupe devait construire le sociogramme, ou en d’autres termes l’écosystème, de son établissement en se posant les questions suivantes :
- quelles sont les personnes et les institutions autour de moi qui vont me permettre de monter mon projet ?
- quelles sont celles qui vont éventuellement freiner mon projet ?
- comment puis-je contourner les freins identifiés ?
- et quelles sont les relations entre moi (aka le persona) et ces différents acteurs, et entre ces acteurs entre eux ?
Autour de ces différentes questions, chaque sous-groupe devait réaliser l’écosystème du projet de son persona et construire un parcours projet, avec pour dernière consigne de garder en tête « ce qui est probable, ce qui est souhaitable et ce qui relève du rêve », un projet se construisant en général autour de ces trois composantes.
4 groupes et 4 « parcours utilisateurs »
L’atelier s’est conclu par un temps de « pitch en 3 minutes » de chaque sous-groupe afin de partager les différentes réflexions de chacun.
Sara, élève en seconde et son projet d’un espace de travail et de vie
Sara est une élève de seconde, redoublante, qui connaît bien son établissement et est élue au conseil des délégués pour la vie lycéenne (CVL). Dotée d’un fort engagement citoyen, elle souhaite créer un espace de travail et de vie dans son lycée, espace qui serait mixte, en libre-accès, auto-géré et correspondant à certaines valeurs qu’elle souhaite défendre.
Ses appuis sont ses camarades, ses professeurs et le personnel de la vie scolaire qu’elle connaît bien. Son lien le plus fort est avec le CVL, qui serait l’institution relai vers les acteurs extérieurs. Ses freins sont le chef d’établissement qu’elle va devoir convaincre, sachant que les projets d’élèves sont souvent jugés non prioritaires au conseil d’administration ainsi que la gestionnaire qui s’inquiète des financements possibles. Pour les convaincre elle mettra en avant les valeurs portées par son projet : Liberté (de pouvoir accéder au lieu), Égalité (d’accès aux ordinateurs et au travail) et Fraternité (solidarité avec les élèves). D’un point de vue financier, le Fond Régional pour l’Investissement (FRI) pourrait être une piste intéressante et elle prévoit un système d’économie circulaire en récupérant des mobiliers non-utilisés dans d’autres établissements.
Pour concevoir cet écosystème s’est posée la question des liens, ou en d’autres termes des relations, entre les différents acteurs. Le groupe a choisi de s’appuyer fortement sur le CVL mais cela aurait pu être sur un ou plusieurs professeurs ou sur un autre établissement, en fonction des établissements et des contextes. Le groupe a souligné la question de l’appartenance, ce projet étant fortement porté par Sara qui semble en avoir une vision très précise : ne risque-t-elle pas de se sentir dépossédée de son projet, comment ce projet est-il partagé au sein de l’établissement et quelle est la part de concessions qu’elle serait prête à faire ?
Sophie, gestionnaire et son projet de self labellisé lycée E3D
Sophie, gestionnaire de son établissement souhaite rendre la cantine plus attractive et fidéliser les élèves qui sont de moins en moins nombreux à venir en faisant un nouveau self labellisé lycée E3D (École ou Établissement en Démarche globale de Développement Durable) avec du compostage et du recyclage, avec une meilleure surveillance, une salle plus grande pour les professeurs et une décoration branchée.
Ses appuis au sein de l’établissement sont le référent Éducation au Développement Durable (EDD) et les éco-délégués. Le chef cuisinier, à deux ans de la retraite, est « ronchon », il va falloir le séduire car c’est un appui nécessaire pour faire de délicieux menus et réaliser le projet. Les acteurs extérieurs qui peuvent l’aider sont la Métropole de Lyon, le rectorat et notamment la cellule E3D, la cellule BEA, la DFIE, des producteurs locaux, des entreprises pour des dons de matériel, des associations engagées et des parents d’élèves quand ils sauront que leurs enfants pourraient « manger dans un super lieu de la super nourriture« .
Ce projet peut permettre d’inclure et de travailler avec tous les acteurs de l’établissement : le personnel de la cantine, les élèves, l’infirmière, les professeurs, les agents, les élèves, les chefs d’atelier, le personnel de la vie scolaire.
La principale difficulté relevée par le groupe est la question de la temporalité du projet.
Hélène, professeure-documentaliste et son projet de CDI inclusif et bien-être
Hélène, professeure-documentaliste et passionnée de yoga souhaite refaire son CDI pour en faire un lieu de ressources inclusif, qui accueille tout le monde y compris les élèves de l’ULIS (Unités Localisées pour l’Inclusion Scolaire), et porté sur le numérique avec un espace de visio-conférence.
De façon informelle, Hélène va discuter avec ses collègues, ses élèves puis va voir la direction pour « tâter le terrain ». Elle en parle en conseil pédagogique et met en place un comité de pilotage. Elle va chercher un soutien extérieur pour le financement mais aussi un soutien pédagogique auprès de différents acteurs de la communauté éducative : IPR, DANE, cellule BEA, CARDIE, Canope, Archiclasse… pour des ressources et un accompagnement et aussi auprès des parents élus et du CA. Elle cherche tous les acteurs qui pourraient l’aider à réaliser son projet et ne manque pas d’idées : municipalité, Métropole de Lyon, centres sociaux, associations de yoga, ergothérapeutes, médiathèque…
Elle souhaite également faire du lien avec le premier degré, et passe pour cela par la coordinatrice du réseau REP+. Elle sait que le marché du numérique est susceptible d’intéresser des entreprises et que c’est donc une piste à creuser.
Nestor, proviseur et son projet d’espace de travail pour les enseignants
Nestor, proviseur souhaite créer un espace de travail agréable pour les enseignants afin de favoriser le travail collaboratif. Les enseignants vont rapidement être mobilisés par ce projet qui les concerne, ils ont envie de donner leur définition du bien-être, d’y réfléchir et de trouver un endroit pour travailler en collaboration. Ceci dit, ils se demandent si des heures supplémentaires vont leur être demandées pour travailler dans cette salle, s’ils pourront y recevoir des élèves et ce que cela implique en termes d’investissement et de temps de travail. Les parents quant à eux sont critiques de cet espace sans élève. Se pose également la question du financement : l’établissement étant classé au patrimoine, dans quelle mesure le conseil régional peut-il être un frein (car l’établissement est classé) ou un levier (source de financement).
Nestor souhaite du matériel recyclé et de récupération, il pourrait donc s’appuyer sur la commune, sur les parents et le CVL, sachant que tout cela passera par le conseil d’administration. N’ayant pas une bonne connaissance de l’écosystème extérieur à l’établissement, il sortirait le joker « appel à une amie » et demanderait conseil à Hélène la professeure-documentaliste, spécialiste sur le sujet.
Le projet de Nestor n’a pas plu au groupe de l’atelier et ils ont donc eu des difficultés à visualiser comment le réaliser puisqu’ils imaginaient plutôt les arguments d’opposition qu’un tel projet susciterait. Ils se sont ainsi demandés comment ce projet allait être réceptionné en établissement. Ils ont imaginé qu’il serait discuté en conseil pédagogique et soulèverait les questions suivantes : est-ce que cela inclut un travail avec les parents et les enfants ? Qu’est-ce qu’un espace de travail agréable pour eux ? Pour les élèves ? Pour les autres acteurs ? Et est-ce que ces autres acteurs en auraient besoin ? Ces questionnements aurait le mérite selon eux de probablement ouvrir une discussion sur la forme scolaire, qui à leur sens est « un espace commun enseignants, élèves, familles », et sur une définition commune du bien-être. Leur principale difficulté a été le manque de vision commune au départ du projet puisqu’ils ont imaginé que le projet de Nestor ne soulèverait que des oppositions, eux-mêmes n’étant pas convaincus par cette idée d’aménagement exclusivement tournée vers les enseignants, or « rien ne peut être construit sur des désaccords ».
Verdict, comment on monte un projet d’équipe en vue de transformer un espace d’apprentissage… ?
À travers la démarche du « parcours utilisateur » pardi ! Blague à part, cette méthode créative a permis de réfléchir à ce, long et parfois semé d’embûches mais pas moins merveilleux, chemin à parcourir entre l’instant où l’on a une idée de projet, seul ou en petit groupe, et le moment où celui-ci devient un projet d’équipe et même un projet d’établissement !
On retient de ce moment de réflexion collective, l’importance de connaître son écosystème, ses appuis mais aussi ses freins potentiels, de s’inscrire dans une temporalité et de ne pas hésiter à s’appuyer sur la recherche pour trouver des arguments et convaincre comme nous l’a rappelé Caroline Aiello-Brottet, notre animatrice. De porter un projet, son projet sans se décourager à la première difficulté, car difficultés il y a toujours sinon ce ne serait pas drôle, mais aussi et surtout de pouvoir faire de son projet un projet collectif, avec le lot de compromis et de belles surprises que cela implique car, pour finir sur les mots de l’un des groupes « rien ne peut être construit sur des désaccords » et la forme scolaire est « un espace commun« , alors à nous de nous l’approprier collectivement !