Dans le cadre des journées de séminaire Terrains d’Apprentissage, organisées par la cellule Bâti et Espaces d’Apprentissage en octobre 2021, un atelier a eu pour objectif d’interroger l’avenir de la salle informatique en tant que salle spécialisée. Cet atelier a réuni un public de cadres éducatifs issus d’institutions différentes – collectivités territoriales, personnels de direction en établissements, membres des corps d’inspection – qui ont pu échanger et développer une vision prospective.
Mais avant toute chose, qu’entend-on par salle informatique ?
« Depuis près de cinquante ans, l’intégration de l’informatique et du numérique en milieu scolaire est une problématique des gouvernements »
Catherine Morin-Desailly (2018) Rapport d’information n°607 (p.55) : Prendre en main notre destin numérique : l’urgence de la formation.
Depuis les années 70, plusieurs « plans numériques » se sont succèdés pour permettre aux élèves français, d’abord de s’initier à l’informatique dans le cadre de l’école, et désormais de développer des compétences numériques faisant partie intégrante du curriculum (certification Pix) visant ainsi à les préparer à une pleine inclusion sociale et professionnelle. Grâce à la démocratisation des premiers ordinateurs, le monde scolaire voit naître au début des années 1980 les salles informatiques. Celles-ci, d’abord aménagées en rangées de postes fixes, se sont par la suite perfectionnées au fil des années et ont souvent évolué en U inversé, les ordinateurs positionnés le long des murs de manière à faciliter la surveillance des écrans. Elles ont dans leur immense majorité gardé l’une des ces configurations initiales qui ne laisse aucune place à la modularité de l’espace.
Quels scénarios d’avenir pour les salles informatiques ?
Lors de l’atelier, les participants se sont vus proposer de jouer à un jeu sérieux intitulé Prospect’space (librement créé pour l’occasion d’après le jeu Prospect’Us conçu par Urba Lyon). Trois contextes disruptifs de départ, impactant fortement l’avenir des salles informatiques, ont été soumis aux équipes afin de les amener à proposer autant de scénarios distincts d’évolution de celles-ci. Au vu des convergences, seuls deux scénarios ont finalement été élaborés à l’issue de l’atelier.
La généralisation du Bring Your Own Device (scénario prospectif 1)
Dans ce scénario, le contexte de départ s’appuie sur une décision de généralisation du BYOD (également appelé AVAN – Amenez Vos Appareils Numériques ou encore AVEC – Apportez Vos Equipements Connectés) émanant du ministère.
À partir de cette base de réflexion, les participants ont proposé les évolutions suivantes au sein des établissements scolaires :
- Les élèves peuvent amener et utiliser en classe leur matériel numérique personnel. Toutes les salles d’enseignement deviennent alors une salle informatique à partir du moment où elles sont équipées de wifi et de prises électriques.
- En parallèle, le mobilier devient flexible et modulable, ce qui ouvre de nouvelles possibilités didactiques et pédagogiques.
- Les élèves disposent d’un outil numérique nomade individuel et personnel, idéalement un outil hybride comportant un écran tactile et un clavier amovible choisi sur la base des préconisations de l’établissement.
Plusieurs prérequis et points de vigilance sont soulignés pour la mise en œuvre de ces évolutions potentielles :
- Si l’on demande aux élèves d’amener leur matériel personnel, cela nécessite d’en prévoir la maintenance et les modalités d’utilisation. En effet, l’administrateur réseau de l’établissement ne peut prendre en charge à lui seul ce travail supplémentaire.
- Grâce à une autonomie renforcée des établissements scolaires, il est vu comme souhaitable que le chef d’établissement puisse choisir des enseignants ou autres personnels disposant de compétences informatiques affirmées pour s’occuper des problèmes liés à l’utilisation de ces outils.
- Cela suppose également d’apprendre de façon plus approfondie aux élèves comment utiliser à bon escient les outils et ressources numériques. Pour ce faire, les enseignants doivent être en capacité de leur expliquer les dangers des réseaux sociaux, des fake news… et les aider à développer leur esprit critique vis-à-vis du numérique.
- Certaines salles équipées de matériel informatique et numérique spécialisé (imprimantes 3D, logiciels spécifiques…) restent indispensables à maintenir au sein des établissements scolaires, notamment pour certaines filières technologiques et professionnelles en lycée. Ces salles dédiées doivent proposer une garantie de fonctionnement pour ces usages scolaires spécialisés afin de limiter les aléas liés aux BYOD.
La réduction de l’empreinte carbone du numérique (scénario prospectif 2)
Dans ce second scénario, le contexte de départ s’appuie à l’inverse sur une forte baisse des dotations publiques liées au numérique. La salle informatique est alors vouée à disparaître.
Dans ce contexte de décroissance volontariste des équipements numériques en milieu scolaire, les participants ont imaginé les évolutions suivantes :
- Les élèves sont équipés avec leur propre matériel numérique pour éviter que les dotations publiques fassent doublon avec le matériel familial. Ceci permet de ne pas démultiplier les outils.
- Un important travail de sensibilisation est conduit auprès des élèves quant au choix de leur équipement numérique personnel de manière à favoriser les outils basse consommation. Un soutien financier est apporté aux élèves boursiers pour s’équiper.
- Le BYOD est alors généralisé dans tout l’établissement via l’utilisation d’un portail wifi sécurisé.
Trois dimensions liées à ce scénario sont soulignées par les participants à l’atelier :
- Cette évolution permet une utilisation renforcée de plateformes de e-learning et une diversification des modalités de cours (en présentiel / distanciel) tout en gardant une vigilance particulière pour les élèves fragiles ou qui n’ont pas les bonnes conditions pour travailler chez eux.
- Cette évolution institutionnelle conduit à sensibiliser les élèves et leurs familles aux usages du numérique tout en développant leur pensée critique.
- Il n’en reste pas moins une nécessité de garder au sein des établissements scolaires une flotte minimale d’ordinateurs fixes et configurables de manière linéaire pour organiser les sessions d’évaluations nationales ou internationales.
Va-t-on réellement voir s’éteindre les salles informatiques ?
Les deux scénarios proposés par les participants convergent ainsi vers la conclusion selon laquelle la salle informatique traditionnelle a probablement vocation à disparaître. Pour autant, ils pointent également la nécessité de maintenir une flotte d’ordinateurs fixes pour des usages disciplinaires spécialisés et également une flotte d’ordinateurs installables en configuration d’examen, même dans le cas d’utilisation généralisée d’équipements numériques personnels par les élèves.
Dans les deux cas, les échanges ont également porté sur le fait que la nécessaire évolution de la salle informatique conduira les acteurs éducatifs à repenser les espaces et a fortiori la pédagogie. Cette évolution demande aussi à faire évoluer les relations et les partenariats des établissements, ainsi que le rôle de la collectivité territoriale de tutelle ou des entreprises privées.
Quelques exemples concrets d’évolution de la salle informatique
La seconde partie de l’atelier a donné lieu à la présentation par les animateurs de différents exemples d’établissements qui ont déjà évolué vers une salle informatique plus flexible, voire vers une salle dédiée à l’expérimentation d’usages pédagogiques innovants appuyés sur le numérique. Dans ces exemples, le point commun est d’avoir cherché à créer un espace modulable, adapté à différentes pratiques pédagogiques appuyées sur les usages du numérique.
Une salle d’e-learning au collège Charles Letot
La salle informatique du collège Charles Letot, à Bayeux dans l’académie de Caen, a ainsi été transformée et rééquipée à neuf pour permettre aux élèves de travailler autrement en favorisant le travail collaboratif et l’utilisation des cinquante tablettes fournies par le conseil départemental. Le mobilier et les équipements numériques pour partie nomades permettent d’organiser la salle informatique autour de différentes zones d’activité et différents îlots de travail.
La dotation informatique et les travaux d’aménagement ont été financés dans le cadre du programme e-collège, développé par la collectivité territoriale pour accompagner les établissements scolaires du Calvados dans le développement des usages numériques et la modernisation des espaces d’apprentissage.
La classe Lab du collège Waldeck-Rousseau
Au collège Waldeck-Rousseau de Firminy, la mise en place d’une classe Lab a permis de transformer la salle informatique, initialement composée de deux espaces distincts séparés par une cloison vitrée en un espace complètement décloisonné, modulable et bien dotée en équipements informatiques. Cette nouvelle salle, qui ne s’appelle plus « salle informatique » mais « classe LAB », n’est pas dédiée à un enseignement spécifique mais est ouverte à toutes les disciplines. En outre, elle permet, couplée au CDI devenu de son côté le Centre de Connaissance et de Culture, d’accompagner la mise en place de démarches de projet s’appuyant sur le travail collaboratif.
Cette classe LAB dispose d’une superficie permettant d’accueillir plusieurs enseignants simultanément avec leurs élèves, favorisant ainsi la co-intervention. Le mobilier, composé de chaises mobiles équipées de tablettes, permet de moduler l’organisation de la salle en fonction des besoins pédagogiques. L’utilisation de matériel modulable, de supports d’écriture plus nombreux (dispositif de la classe mutuelle) et de tablettes numériques nomades dans les différentes zones amène, selon l’enseignant chef de projet, à changer les postures des enseignants comme des élèves.
Les salles Lab, qui se sont développées en collège et dans une moindre mesure en lycée à partir de 2016, ne visaient pas à l’origine à transformer les salles informatiques. Elles visaient à développer l’innovation pédagogique appuyée sur les usages numériques et sur une transformation de l’espace classe. Pour autant, les exemples existant à l’instar des collèges Charles Letot, Waldeck-Rousseau et Ennemond Richard, fournissent des pistes très intéressantes pour penser différemment la salle informatique et la faire évoluer vers un espace moins fonctionnalisée et plus polyvalent.
Une flotte d’ordinateurs portables au lycée Docteur Charles Mérieux
Le lycée Docteur Charles Mérieux de Lyon a ouvert ses portes en septembre 2021. Il s’agit d’un lycée doté d’un statut expérimental et dont le projet pédagogique repose sur des aménagements ciblés. D’une part des espaces physiques d’apprentissage conçus pour favoriser le bien-être des élèves et des enseignants et pour faciliter les pratiques de collaboration et le travail personnel des élèves au sein de l’établissement scolaire. Et d’autre part des usages numériques généralisés afin de préfigurer le lycée de demain.
Pour rendre possible cette généralisation de l’usage du numérique dans le quotidien des élèves et des enseignants, le rectorat de Lyon et le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes ont décidé d’un commun accord, sur la base de ce projet pédagogique innovant, d’équiper le lycée en wifi et de fournir des dotations importantes en équipements numériques. Les enseignants se sont vus attribuer un ordinateur portable individuel et chaque classe dispose d’un chariot ou d’une valise d’ordinateurs portables à disposition, de même que le centre de ressources. Il est prévu que deux salles de réunion attenantes puissent être transformées en plateau et configurées en salle d’examen afin de réaliser les certifications et évaluations requérant des postes informatiques alignés.
Une conséquence importante de ce projet pédagogique préfigurateur est d’avoir acté la disparition de la salle informatique conventionnelle. Le lycée dispose néanmoins d’un plateau STI2D et de deux fablabs bien équipés en matériel informatique spécialisé, ainsi que d’un médialab et d’une salle de visioconférence. Mais le rectorat et le conseil régional ont préféré consacrer plus de surfaces aux salles d’enseignement, aux espaces collaboratifs et aux espaces de respiration plutôt que de créer une ou des salles informatiques figées qui feraient dès lors doublon. À l’issue de la première année de vie de l’établissement et de mise en œuvre du projet par l’équipe pédagogique, il semble que personne ne songe à demander l’installation d’une telle salle informatique fixe et monofonctionnelle.
Vers une salle informatique flexible et défonctionnalisée
La nomadité croissante des équipements numériques questionne la présence de salles informatiques dédiées et figées où l’on ne fait « que de l’informatique ». Les témoignages de nombreux enseignants comme les travaux d’André Tricot et de Nathalie Mons montrent qu’il n’est pas pertinent que l’utilisation des outils et ressources numériques guide – voire contraigne – la conception du scénario pédagogique. Ce qui est pourtant le cas lorsque l’enseignant doit réserver puis se rendre pour une heure entière en salle informatique, où les élèves sont installés sur des rangées d’ordinateurs fixes sans aucune possibilité de reconfiguration et avec une très faible mobilité.
Le numérique doit au contraire pouvoir être mobilisé de façon souple et différenciée, pour des activités précises et ponctuelles, à certains moment de la séquence d’enseignement. Ceci induit à l’évidence la nécessité de repenser la salle informatique et l’usage des outils numériques pour les intégrer dans un espace d’apprentissage plus flexible, moins fonctionnalisé et donc favorable à une diversité de pratiques pédagogiques avec ou sans le numérique.
Par ailleurs le développement des compétences numériques du CRCN – Cadre de Référence des Compétences Numériques doit être travaillé dans tous les cours et par tous les enseignants. Ces compétences sont désormais évaluées via une certification obligatoire dans le secondaire. Or l’usage exclusif de la salle informatique traditionnelle ne permet pas la réalisation pleine et sereine de cet objectif.
Les établissements et les collectivités doivent donc mener une réflexion partagée sur les équipements et les espaces utiles au développement de ces compétences et à la réalisation de cette certification. L’enjeu majeur est là aussi de faciliter une diversification des pratiques pédagogiques permettant de construire les compétences numériques des élèves tout en assurant la passation rigoureuse d’examens, d’évaluations ou de certifications liés au numérique.
Pour aller plus loin :