Entretien avec Caroline Aiello-Brottet, référente Bâti scolaire de l’académie de Lyon et responsable de la cellule Bâti et Espaces d’Apprentissage.
Caroline Aiello-Brottet a succédé en septembre 2023 à Hervé Felgerolles, qui avait participé à la création de la cellule en décembre 2019 et occupé le poste nouvellement créé de référent Bâti scolaire depuis novembre 2021. Quelques mois après sa prise de fonction, elle nous présente les perspectives de la cellule BEA, qu’elle connait particulièrement bien puisqu’elle en est membre active depuis le début !
Caroline Aiello-Brottet, en tant que nouvelle responsable de la cellule académique Bâti et Espaces d’Apprentissage, quelles orientations donnez-vous à cette équipe ?
Tout d’abord, il faut rappeler que je suis membre de la cellule BEA depuis 2019, ce qui a grandement facilité la transition avec mon prédécesseur. Et également que je demeure enseignante de SVT à mi-temps en collège, ce qui me permet de rester en lien étroit avec le terrain et donc avec la réalité d’une communauté scolaire en transformation permanente.
Ma mission comporte deux casquettes. D’une part le rôle institutionnel de référente Bâti scolaire pour l’académie de Lyon, à la demande du recteur Dugrip. Et d’autre part, le pilotage de la cellule et de ses activités, en étroite collaboration avec Edwige Coureau-Falquerho de l’Institut Français de l’Education qui est notre partenaire historique via une convention.
La cellule BEA, c’est une petite équipe fonctionnelle de dix personnes, majoritairement issues du monde de l’éducation : des enseignants du 1er et du 2nd degrés, un personnel de direction, une chargée de projet. Parmi eux, certains enseignent à temps plein et interviennent ponctuellement pour la cellule. D’autre bénéficient d’une décharge de quelques heures par semaine pour contribuer plus régulièrement aux activités de formation, d’accompagnement et à la production de ressources.
L’objectif principal de cette cellule est de créer une culture partagée et une vision commune concernant les enjeux et les méthodes de la transformation des espaces scolaires. Cela implique une approche inter-métiers et intercatégorielle pour toucher tous les acteurs de l’éducation, aussi bien au niveau des établissements qu’au sein de l’académie. Cela implique également d’aller au-delà des acteurs de l’éducation nationale et d’établir des partenariats durables avec les collectivités territoriales, les spécialistes de l’assistance à maîtrise d’usage, et même les professionnels du bâtiment et de la construction, notamment les programmistes.
Je distingue aujourd’hui trois grands enjeux qui justifient l’existence de la cellule BEA :
L’accompagnement de la communauté éducative, des collectivités territoriales, des acteurs publics en matière de transformation du bâti scolaire. L’accompagnement que nous offrons vise à anticiper et soutenir les évolutions pédagogiques, environnementales, démographiques et réglementaires, en favorisant l’acculturation des acteurs impliqués. C’est une approche prospective. Nous partageons notre expertise à travers divers sujets et organisons chaque année un séminaire ouvert à tous, abordant des questions transversales telles que la double transformation pédagogique et écologique des écoles et établissements scolaires. La spécificité de la cellule lyonnaise réside dans son rôle d’interface opérationnelle, qui facilite la collaboration entre différents acteurs : les collectivités territoriales et la communauté scolaire, mais aussi le rectorat avec l’intervention des corps d’inspection disciplinaire mais aussi le service Innovation, le service Prévention et sécurité si nécessaire…. Cette approche favorise une compréhension mutuelle et renforce l’efficacité de nos actions.
La production, le partage et la mutualisation des expériences et des ressources à l’échelle de l’académie. La cellule BEA capitalise sur les projets menés pour partager des retours d’expérience et proposer des espaces d’inspiration. Elle met à disposition des ressources sur une variété de thématiques à travers des dossiers de synthèse, des articles, et organise régulièrement des visites d’inspiration dans des établissements pionniers. Les enjeux de transformation des espaces d’apprentissage, tels que les salles de science, les salles de classe banalisées, les CDI/centres de ressource, les sanitaires, les salles Lab, les cours de récréation, etc. ont été abordés. Sur un plan transversal, des orientations sont proposées en matière de concertation avec les usagers et d’approche collaborative, le tout dans le but d’accompagner la montée en compétence des acteurs.
Accompagnement à la montée en compétence des acteurs. La cellule BEA et l’École Académique de la Formation Continue développent des outils et des formations pour accompagner les écoles et les établissements dans le cadre du dispositif Notre Ecole Faisons la ensemble (NEFLE). Nous intervenons avant le dépôt des dossiers pour aider à concevoir des projets d’aménagement réfléchis et durables, en veillant à ce qu’ils ne soient pas simplement une liste de souhaits d’aménagement ou de mobilier. Notre approche se base sur une ingénierie éprouvée depuis plusieurs années. Celle-ci implique de définir les valeurs et les finalités pédagogiques du projet dès le départ, afin de justifier la demande de financement. Nous envisageons également d’intégrer ces sujets dans les formations initiales à l’INSPE pour sensibiliser et outiller les enseignants et le personnel de vie scolaire.
La cellule Bâti et Espaces d’Apprentissage accompagne de nombreux projets en lien avec les établissements et les collectivités territoriales. Quels sont les principaux projets à l’heure actuelle ? A quelles demandes répondent vos accompagnements ?
La cellule BEA reçoit de nombreuses demandes car elle est devenue un acteur identifié dans l’académie. Nous répondons sur le fond à toutes les sollicitations en prenant un temps préliminaire d’écoute et d’analyse du besoin mais aussi en aiguillant vers d’autres services d’appui les équipes que nous ne pouvons accompagner nous-mêmes.
Pour les projets dont nous prenons en charge l’accompagnement, cela passe par la mise en place d’un parcours Collectif Territoire Apprenant (CTA) dans le cadre de l’EAFC, mené par les formateurs et intervenants BEA. Nous réalisons de l’ordre de quatre à six parcours complets par an. Pour d’autres projets, nous apportons de manière plus légère une expertise ponctuelle sur une question précise.
Nous concentrons nos efforts d’accompagnement sur des projets innovants et des projets d’envergure. En 2023-2024, nous accompagnons par exemple le collège Jules Vallès dans la Loire, en concertation avec le conseil départemental et la ville de Saint-Etienne qui nous ont sollicité. Ce collège devient une cité scolaire avec l’implantation d’une école sur son site, ce qui amène à requestionner tous les espaces. L’accompagnement a démarré par une journée de hackathon durant laquelle a été réalisé un travail sur la vie scolaire, la direction, les salles de classe, le pôle EPS et la restauration qui deviennent des espaces mutualisés entre le collège et l’école. Tous les acteurs du collège ainsi que les deux collectivités se sont impliqués dans ce hackathon. Au-delà d’une réflexion sur les espaces à transformer, ce temps de travail a permis de renforcer la définition collective des intentions pédagogiques et en particulier la volonté d’encourager des apprentissages plus actifs à l’école comme au collège.
Toujours dans la Loire, nous accompagnons le collège de la Talaudière dans le cadre d’un parcours CTA, ainsi que deux lycées pour un dépôt de candidature NEFLE. Dans le Rhône, un hackathon est prévu pour la cité scolaire René Cassin à Tarare, en préambule d’un accompagnement de type CTA. Dans l’Ain, plusieurs projets sont accompagnés cette année, par exemple au lycée du Val de Saône à Trévoux, qui souhaite créer une salle d’oralité.
Et nous accompagnons depuis 2023 un gros projet au collège Emile Cizain de Montluel, qui a engagé la transformation de la cour de récréation et la création d’une salle de travail innovante. Un important travail est mené en lien avec le conseil départemental, qui a été force de proposition pour les aménagements de la cour en lien avec la transition écologique en suggérant des solutions opérationnelles que l’équipe enseignante n’avait pas envisagées. Ce travail d’expertise croisée a été très intéressant et permet aujourd’hui de compléter le projet initial par une candidature NEFLE dynamisée. Ce volet complémentaire portera sur une démarche d’expérimentation académique pour « faire classe dehors », porté par une IA-IPR de SVT, pilote de ce projet expérimental.
On voit que ce type de projet qui s’enrichit progressivement nourrit les réflexions à l’échelle académique. Cela a par exemple conduit cette inspectrice et deux collègues de SVT à proposer une communication et un atelier au colloque national « Faire classe dehors » en mai 2023.
A ces quelques exemples viennent s’ajouter au fil de l’année scolaire des temps d’accompagnements plus ponctuels. Et au-delà des sollicitations provenant de l’académie de Lyon, la cellule BEA reçoit régulièrement des demandes d’établissements ou d’acteurs issus d’autres académies : on les aide dans ce cas à se réorienter vers leurs référents académiques Bâti scolaire !
L’équipe BEA a développé des parcours de formation dans le cadre de l’EAFC de Lyon. En quoi consiste cette offre de formation, a fortiori dans le contexte actuel de forte évolution de la formation des enseignants ?
Depuis le début, la cellule intervient le plus souvent sous forme de parcours de formation comme je l’ai dit, par le passé appelées FIL et aujourd’hui CTA (Collectif Territoire Apprenant). Les équipes en établissement apprécient ces accompagnements sur la durée qui reposent sur une ingénierie de type design thinking : cela donne de la consistance à leur projet et donc à leur demande de financement.
Dans ces parcours de formation, l’accent est mis sur les intentions et les fondements pédagogiques du projet, sur les enjeux et la méthode de la concertation avec les usagers, sur la transformation des gestes professionnels et sur les indicateurs d’évaluation (en termes d’apprentissages, de bien-être scolaire, etc.). Le fil rouge est de ne jamais décorréler la réflexion sur l’aménagement des espaces des intentions pédagogiques.
Pour développer l’offre de formation et d’accompagnement, nous travaillons avec les services académiques compétents au sein de l’instance de pilotage de la cellule. Le COTEA rassemble ainsi des représentants de l’EAFC, du pôle Innovation, de la DRANE, du service de prévention ainsi que la doyenne des IA-IPR. Il intègre aussi des partenaires tels que l’INSPE de Lyon et Canopé. La question qui se pose est comment « faire du lien » avec ces services et partenaires pour amplifier la capacité de réalisation des formations et des accompagnements de projets.
Une des perspectives est de mettre en place une formation de formateurs – en complément de celle proposée par l’Ifé-ENS de Lyon – pour y ajouter la spécificité de l’accompagnement des équipes. Nous envisageons de créer un parcours pour tout type de formateur qui voudrait monter en compétence sur les sujets du bâti scolaire et de la transformation des espaces d’apprentissage.
Enfin, une formation à l’IHE2F pourrait également être envisagée. Elle s’adresserait aux personnels de direction qui sont les premiers pilotes de la transformation des espaces d’apprentissage et qui ont souvent besoin d’une acculturation sur ces sujets.
En matière de Bâti scolaire, l’année 2023-2024 est marquée par le déploiement du plan EduRénov pour améliorer la performance énergétique des écoles, collèges et lycées. Quel est le rôle de la cellule Bâti et Espaces d’Apprentissage en matière de transition écologique des établissements scolaires ?
La mise en route du plan EduRénov est un énorme levier financier et en ingénierie pour rénover le bâti scolaire. Sa finalité principale est de diminuer drastiquement les consommations d’énergie, mais c’est aussi une opportunité incroyable de travailler sur « le contenant ».
Les recteurs et les DASEN sont en charge, avec les élus et les préfets, d’identifier et de prioriser d’ici début 2024 les écoles, collèges et lycées concernés dans chaque département. Les référents Bâti scolaire viennent en appui de la cellule ministérielle Bâti scolaire pour faciliter le dialogue entre les collectivités territoriales et les usagers.
A posteriori, la cellule aura à valoriser les projets de rénovation et de transformation écologique.
Comment pensez-vous que le plan EduRénov puisse intégrer les enjeux pédagogiques et de climat scolaire, ou encore la question de l’ouverture au territoire et aux partenaires ?
L’intégration des enjeux de transformation pédagogique à la démarche de rénovation énergétique était justement le sujet du séminaire Terrains d’apprentissage #2023 . Nous avons cherché à nourrir la réflexion autour de certaines problématiques : comment montrer que les doubles mouvements de transition écologique et de transition pédagogique peuvent s’appuyer l’un sur l’autre ? Comment optimiser le déploiement massif de financements centrés sur la performance énergétique en intégrant la dimension des espaces apprentissage et des espaces de vie des élèves et des personnels ? Comment promouvoir une approche systémique qui prenne en compte les usages, les pratiques professionnelles et l’évolution des espace-temps d’enseignement et d’apprentissage ?
Le séminaire de novembre dernier a proposé de nombreux témoignages en ce sens. Par exemple, le mouvement faire classe dehors et la végétalisation des cours de récréation montrent que celles-ci deviennent des espaces d’apprentissage alors qu’elles n’étaient pas pensées comme tels au départ. Cela amène une autre réflexion : la cour extérieure, si elle est végétalisée, offre un support pédagogique pour l’éducation au développement durable et la prise en compte des défis environnementaux en prenant appui sur l’éducation à la nature.
Il y a également eu des témoignages de la part des acteurs de la maîtrise d’ouvrage et des architectes du nouveau lycée Arnaud Beltrame de Meyzieu et de l’école Eugénie Brazier de Lyon, qui illustrent les opportunités de combiner performance énergétique, adaptation au changement climatique et évolution pédagogique. L’usage des matériaux est questionné : faire mieux avec moins, ou faire avec du préexistant…
C’est intéressant que le bâti scolaire ne soit plus seulement un sujet technique. Le discours des programmistes et des architectes témoigne d’un changement de paradigme, mettant désormais l’accent sur la concertation des usagers. Cette évolution transforme les bâtiments en des espaces plus habités où tous les espaces sont dédiés à tous les types d’apprentissages.
Et par ailleurs, cette question écologique devient de plus en plus une question sociale. La rénovation des écoles est ancrée dans la politique de la ville. Par exemple, la ville de Villeurbanne a travaillé sur la végétalisation des cours d’école mais aussi sur l’usage de matériaux biosourcés, la sollicitation d’artisans locaux… On a une politique globale avec des espaces polyvalents comme des jardins partagés, des projets de compostage ouvert sur la ville, ce qui amène des réflexions sur les problématiques de gouvernance que de tels espaces partagés peuvent poser.
En somme, on voit que la transition écologique de l’école ne peut pas être décorrélée de la transition pédagogique. Les espaces d’apprentissages sont pensés comme des lieux de vie et inversement. La question de l’habitabilité des espaces et du bâti scolaire a d’ailleurs été brillamment développée par le chercheur Guilhem Labinal.
En conclusion, quels conseils donneriez-vous à des acteurs – chefs d’établissement, enseignants, collectivités, etc. – qui souhaitent faire évoluer le bâti scolaire et accélérer la transition écologique de l’Ecole ?
Tout d’abord il faut une approche holistique : avoir une vision et un engagement collectif, à l’échelle de l’établissement et de son contexte local. A partir d’une idée ou d’une intention, il faut définir une vision commune appuyée sur un diagnostic, intégrer une problématique pédagogique et une visée écologique.
Ensuite, il faut impliquer tous les acteurs de la communauté éducative : cela comprend les élèves, les agents, les parents et même les entreprises locales. Avec cette communauté élargie, il faut avoir une réflexion qui intègre les mutations pédagogiques en cours ou futures. Il faut ensuite mettre cela en lien avec le défi écologique auquel il faut collectivement faire face.
Il faut également penser le suivi et l’évaluation du projet. C’est parfois pensé au départ mais rarement mis en œuvre. Il faut donc définir des indicateurs pour mesurer les effets des changements et ajuster la stratégie d’accompagnement au changement des usages en fonction des retours d’expérience concrets.
Et il est important de prendre appui sur les ressources et les acteurs identifiés à l’échelle académique et ministérielle : la cellule BEA en premier lieu, et d’autres acteurs académiques comme la cellule académique NEFLE qui propose un parcours M@gistère très complet pour le montage des dossiers. Beaucoup d’idées et de préconisations sont à retenir dans les documents ressources conçus par le ministère, par exemple dans le guide « Agir pour la transition énergétique dans les écoles et les collèges ».
Le mot de la fin ?
Il existe dans l’académie de Lyon unmouvement fédéré et structurant et qui œuvre depuis de nombreuses années sur la question des espaces d’apprentissages. La cellule BEA propose uneexpertise croisée efficiente et même enviée dans des territoires où ce mouvement est plus récent !
Contacter la cellule BEA : cellule-bea@ac-lyon.fr