« Peut-on, veut-on, doit-on ouvrir les espaces scolaires ? ». Telle était la question posée aux participants – enseignants, personnels de direction, inspecteurs… – lors d’un des ateliers organisés par la cellule BEA dans le cadre des séminaires Terrains d’Apprentissage (octobre 2021).
Les établissements scolaires sont des lieux accueillant une communauté dont le lien primordial est celui de l’apprentissage. Ils doivent avant tout permettre de répondre aux différents référentiels d’activité de l’Éducation nationale. Mais ils appartiennent, en tant qu’équipement public, aux collectivités territoriales qui en assurent la construction et la gestion patrimoniale. A ce titre, elles peuvent avoir le souci de mutualiser les bâtiments scolaires avec d’autres structures liées à leurs champs de compétences : centres sociaux, bibliothèques départementales ou structures de formation professionnelle par exemple. Lors de l’atelier, le témoignage du Conseil départemental du Rhône a posé cet enjeu, à travers l’exemple du projet d’implantation de la bibliothèque départementale dans des locaux communs avec un collège. Ce témoignage a permis d’initier, autour d’un cas concret, la réflexion des participants sur les enjeux et questionnements d’une telle démarche de mutualisation des équipements publics.
Il nous a donc paru essentiel de proposer aux cadres de l’Éducation nationale et des collectivités de réfléchir sur cette question. Mais tout d’abord, de quelle ouverture parle-t-on ? Nous avons demandé aux participants de commencer l’atelier en définissant les enjeux de l’ouverture des établissements scolaires.
Les réponses ont pointé le fait que la question de l’ouverture de l’établissement revêt plusieurs aspects :
- une ouverture aux structures et personnes extérieures à la communauté éducative
- une ouverture aux usagers de l’établissement pendant et en dehors du temps scolaire
- mais aussi une ouverture des espaces internes aux élèves notamment.
Aussi, pour comprendre comment favoriser l’ouverture des établissements, l’atelier a conduit à travailler sur les différents enjeux et formes possibles de cette ouverture. Deux grands axes se sont dégagés : l’accès à l’autonomie des usagers d’une part ; la numérisation des espaces d’apprentissage par ailleurs.
Un espace ouvert pour développer l’autonomie des élèves ?
Lorsqu’on imagine des espaces ouverts, on se représente une certaine liberté de circulation, au contraire d’un espace qui serait fermé telle une prison infranchissable ou encore une forteresse inaccessible. L’école n’a vocation à être ni l’une ni l’autre et pourtant, dans la pratique, on observe que de nombreux établissements scolaires – notamment au niveau collège – fonctionnent sur un modèle en « vase clos » laissant peu d’ouverture(s).
Peu d’ouverture(s) aux usagers de l’établissement en « interne » et tout aussi peu, si ce n’est encore moins, d’ouverture vers l’extérieur. Un espace ouvert ne permettrait-il pas, pourtant, de développer davantage l’autonomie des élèves et de les responsabiliser ? Dès lors, pourquoi ne pas ouvrir les espaces scolaires ? Mais est-ce aussi simple ? Quelles questions se posent lorsqu’on parle d’ouvrir les espaces scolaires ? Et de quelle(s) ouverture(s) parle-t-on ?
Un établissement ouvert en « interne » ?
La première ouverture qui vient à l’esprit est sans doute l’ouverture « en interne » d’un établissement scolaire. Effectivement, une fois dans le cadre sécurisé et sécurisant d’une enceinte scolaire, qu’est-ce qui empêcherait d’ouvrir les espaces, tous les espaces ?
C’est le pari qu’a fait le nouveau lycée expérimental Docteur Charles Mérieux, présenté lors de cet atelier par Charlotte la Rocca, professeure documentaliste. Cet établissement a ouvert ses portes en septembre 2021 et les a, d’une certaine manière, laissées ouvertes depuis lors. Ce projet d’établissement découle d’une contrainte bâtimentaire forte puisqu’il a été conçu dans des locaux de bureaux préexistants. Il dispose ainsi notamment d’un grand hall ouvert entouré de plusieurs étages et d’escaliers communicants entre les différents espaces. Un signe de bon augure pour un futur lycée souhaitant ouvrir ses espaces scolaires.
L’ouverture en « interne » de ce lycée prend de multiples formes. Ainsi, l’écran du hall d’accueil est ouvert aux élèves qui peuvent y afficher leurs productions. Chaque groupe-classe dispose d’une salle fixe à laquelle les élèves ont accès de manière autonome grâce à une carte magnétique attitrée disposant d’accès spécifiques. Les espaces sont donc ouverts, sous conditions, afin que chaque classe dispose d’un accès conciliant autonomie et sécurité, espace ouvert et espace réservé.
Par ailleurs, de petites salles mutualisées se situent entre deux salles de classe ce qui permet de faire travailler un groupe d’élèves en autonomie.
Le centre de ressources est également ouvert, hors du temps de présence de la documentaliste, et dispose de box de travail insonorisés et fermés dans lesquelles les élèves peuvent travailler en petits groupes de manière autonome.
De nombreux espaces de respiration ont été conçus dans les couloirs et les espaces interstitiels afin que les élèves puissent encore une fois s’y installer pour discuter, travailler, lire… en toute ouverture et autonomie.
L’équipe pédagogique n’est pas en reste, pour investir ces espaces ou se retrouver dans une salle des personnels (et non plus des professeurs) ouverte à tous et disposant d’un espace de rencontre enseignants-élèves en guise de sas d’accès.
Les sanitaires élèves sont également en accès libre. Ceux situés dans les étages sont utilisés à la fois par les élèves et par l’équipe pédagogique.
Cette philosophie de l’ouverture vise à développer l’autonomie des élèves et requiert confiance et responsabilités partagées comme se sont accordés à le dire les participants. Le lycée est généralement un espace plus ouvert que le collège, dans lequel on s’adresse à des élèves plus âgés et a priori plus matures. Cependant, une telle expérience serait-elle possible dans un collège ?
Les sanitaires sont, par exemple, un parfait cas d’école, comme l’ont souligné les participants à l’atelier. Ce sont des espaces rarement en accès libre au collège et placés sous haute surveillance pendant les pauses parce qu’ils sont souvent dégradés et constituent potentiellement un lieu d’intimidation et de violences. C’est paradoxalement un des seuls lieux de liberté, ou du moins offrant un peu d’intimité aux élèves pouvant, l’espace d’un instant, se soustraire aux regards. Cela pourrait donc expliquer que les élèves s’y relâchent et s’y extériorisent, ce d’autant plus « lorsque la culture d’établissement est rigoureuse« . Les ouvrir serait-il alors une porte ouverte aux dégradations et aux dangers déjà difficilement évités sous surveillance ? Ou au contraire cela offrirait-il plus de liberté aux élèves tout en les responsabilisant et leur donnant envie d’en prendre soin ? Les ouvrir à la mixité ou encore à un usage indifférencié entre équipe pédagogique et élèves pourrait-il être une piste à explorer ? Ouvrir d’autres espaces permettrait-il de créer d’autres lieux de liberté et de relâchement évitant ainsi des formes de défoulement dans les sanitaires ? Autant de questions sans réponse définitive et qui mériteraient d’être explorées concrètement. Certaines expérimentations menées dans des établissements vont dans ce sens. Des retours d’expérience a poursuivre, par exemple à l’occasion d’un prochain séminaire BEA.
Un établissement ouvert vers l’extérieur ?
Ouvrir les espaces scolaires au sein de l’enceinte bien définie d’un établissement scolaire est une chose. Mais peut-on concevoir d’étendre une telle ouverture au-delà des portes de l’établissement ? Peut-on imaginer un lycée, un collège ou même une école au sein desquels les parents, les associations, les habitants du quartier pourraient circuler et profiter des lieux ? Qu’est-ce qu’une telle ouverture apporterait ? Et qu’est-ce qu’elle impliquerait ?
Un des premiers intérêts à ouvrir les espaces scolaires, souvent avancé par les collectivités territoriales, est de rentabiliser des locaux et des équipements scolaires, qui se retrouvent bien souvent inutilisés lors des soirées, des week-ends et des vacances. Ce raisonnement peut s’appliquer à double sens vis-à-vis de locaux et d’équipements sportifs et culturels de clubs ou d’associations situés à proximité qui pourraient être plus fortement utilisés par l’établissement scolaire, « externalisant » ainsi certaines activités et pratiques pédagogiques. C’est d’ailleurs déjà le cas pour des activités comme la natation, quasiment aucun établissement ne disposant d’une piscine en propre. Au-delà de cet intérêt économique inscrit dans une démarche écologique de mutualisation des ressources, ouvrir les espaces scolaires décloisonnerait les établissements, leur permettrait de développer des liens de proximité avec leur environnement et les ancrerait à l’échelle locale.
Pour autant, lorsqu’on parle d’ouverture d’un établissement scolaire, un frein lié à la sécurité s’impose rapidement à l’esprit, comme l’ont souligné les échanges entre participants. Un espace fermé est toujours, par définition, plus facile à surveiller et donc a priori plus sécurisé, bien que le risque zéro n’existe pas. Les établissements scolaires sont soumis à une forte exigence de sécurité, exigence qui semble se renforcer d’années en années. Par ailleurs, comme l’ont rappelé certains participants, le chef d’établissement est contractuellement responsable de la sécurité des biens matériels et surtout des personnes au sein de l’enceinte scolaire. Et au-delà de cette obligation légale, personne n’a envie qu’un drame ne survienne. De là, on peut comprendre les réticences de nombreuses personnes qui ne souhaitent pas (trop) ouvrir les espaces scolaires.
Outre des questions vives de sécurité, se posent des questions d’organisation, également soulevées lors de l’atelier. Lorsqu’on décide d’ouvrir les établissements vers l’extérieur, il est essentiel de définir les fonctions, rôles et responsabilités de chacun. Des conventions entre l’établissement et des partenaires extérieurs permettent d’organiser cette ouverture, avec l’accord du conseil d’administration et sous couvert des instances rectorales.
Le lycée du Docteur Charles Mérieux, évoqué ci-avant, est par exemple également ouvert vers l’extérieur. Cette ouverture est partie intégrante de son projet pédagogique construit en prenant en compte l’écosystème dans lequel se trouve l’établissement. Ainsi, les élèves ont accès aux ressources du musée voisin des Confluences, le lycée est inscrit dans le tissu socio-économique du quartier et une salle dédiée à la Recherche est prévue pour développer des relations avec des acteurs scientifiques, l’Institut Français de l’Éducation de l’École Normale Supérieur de Lyon se trouvant également à proximité.
Le hall de l’établissement est également ouvert aux parents, ce qui permet de satisfaire la curiosité de ces derniers et de rassurer les primo-entrants. Au-delà d’un bâti ouvert, en interne comme en externe, ce lycée dispose également d’une coloration numérique qui renforce cette philosophie d’ouverture « hors les murs ».
Une ouverture « hors les murs » par le numérique ?
Le numérique est de plus en plus présent dans nos vies, et l’école n’y fait pas exception. L’espace de travail n’est plus seulement délimité par l’enceinte de l’établissement : il est maintenant également prolongé dans un Espace Numérique de Travail (ENT).
Un espace numérique de travail (ENT) désigne un ensemble intégré de services numériques choisis et mis à disposition de tous les acteurs de la communauté éducative d’une ou plusieurs écoles ou d’un ou plusieurs établissements scolaires dans un cadre de confiance défini par un schéma directeur des ENT et par ses annexes.
Eduscol, Qu’est-ce qu’un ENT ?
La crise sanitaire a amplifié et accéléré l’usage du numérique en milieu scolaire. S’en est suivie une prise de conscience du fait que le « milieu scolaire n’est pas un bâtiment », comme le relève un des participants à l’atelier.
L’ouverture numérique des établissements scolaires permet à la fois de communiquer sur les activités de l’établissement, via sa partie publique, mais aussi d’organiser la vie scolaire, les échanges, la pédagogie. L’utilisation des ENT répond à tous ces besoins, et encore plus en période d’enseignement hybride comme l’ont connu les lycées pendant la pandémie. Accéder aux enseignements et aux ressources en dehors de l’établissement nécessite donc une réflexion et une organisation adoptées par l’ensemble de la communauté éducative. Le Plan de Continuité Pédagogique présenté en conseil d’administration a cette vocation.
Ainsi les ressources numériques sont mises à disposition sur cet espace de travail dématérialisé qu’est l’ENT. Cela soulève de nombreuses questions : quelles sont les ressources mises à disposition ? Comment ? Avec quel(s) accès ? Quid des données personnelles des usagers ?
En outre, les ENT sont à la fois des « vitrines et des espaces ouverts hors temps scolaire », questionnant à la fois l’espace mais aussi le rythme scolaire. Charlotte La Rocca a pu, au lycée La Martinière Duchère où elle exerçait précédemment, mettre en oeuvre une politique documentaire et numérique tenant compte des pratiques numériques juvéniles et des exigences pédagogiques en modifiant à la fois les espaces physiques et numériques du CDI.
De là, l’usage grandissant du numérique, brouillant les lignes spatiales et temporelles de l’école, implique une réflexion pédagogique. En outre, le fort développement des ressources numériques bouscule l’accès à l’information et à la culture nécessitant une politique documentaire et numérique adapté au sein de l’établissement scolaire. Cela implique une réflexion particulière sur les Centres de documentation et d’information (CDI), probablement amenés à devenir des « centres de ressources ».
Se pose également la question des compétences numériques à développer, et donc de la formation des personnels et des élèves (CRCN, hybridation, rôle des équipes numériques). Utiliser le numérique oui, mais comment ? Cela implique des enjeux d’insertion dans la société, de citoyenneté numérique et de vivre ensemble.
Ouverture des espaces scolaires : des enjeux et possibilités multiples ?
Nous avons pu voir au cours de cet atelier que la question de l’ouverture des établissements scolaires est une notion qui englobe diverses formes et enjeux :
- une ouverture pour favoriser la mutualisation des locaux, mais qui se heurte à des règles et protocoles de sécurité dont les responsabilités ne relèvent pas des mêmes instances
- une ouverture spatiale de l’établissement sur son environnement immédiat, qui là aussi peut entrer en contradiction avec les règles de sécurité
- une ouverture des espaces internes de l’établissement afin d’augmenter le bien-être, l’autonomie des usagers et leur responsabilisation
- une ouverture de l’établissement sur ses activités, par l’outil numérique notamment, qui permet de favoriser la visibilité, la communication et le lien école-famille. La situation sanitaire des deux dernières années, avec une période de confinement total puis des périodes d’enseignement hybride, a montré l’importance de mettre à disposition les outils et ressources pour assurer au mieux la continuité pédagogique.
Lors de l’atelier, la question de l’ouverture de l’établissement pour des enfants et familles éloignées de l’école et de la culture scolaire a également été soulevée par les participants. Et finalement, n’est-ce pas la façon dont on accueille les usagers plus que les locaux qui permettent ou non de proposer une école ouverte ?
Un enjeu fort dans de nombreux territoires qui devront faire l’objet d’échanges prolongés pour la cellule BEA !
Pour aller plus loin :