Nous connaissons les Centres de Documentation et d’information (CDI), lieux très particuliers du système scolaire français gérés par des professeurs documentalistes dont les missions ont fortement évolué depuis la création de ce corps professoral en 1989.
Depuis l’arrivée massive des outils numériques dans les mains des adolescents et la multiplication des ressources numériques, le métier de professeur documentaliste et leur lieu d’exercice ont fortement évolué, à tel point que la terminologie évolue elle aussi… Nous utilisons ici le terme de « centre de ressources », qui nous permet d’évoquer toutes les facettes de cet espace.
Sa transformation se décline sur plusieurs axes :
- Pourquoi s’interroger sur l’évolution des centres de ressources ?
- Comment conjuguer ressources physiques et physiques numériques, et les faire cohabiter dans un même espace ?
- Comment concilier la multiplicité des pratiques pédagogiques dans ce lieu unique ?
- Comment créer un lieu capacitant pour développer les compétences du citoyen du XXI° siècle ?
De l’évolution des pratiques et des besoins des usagers
Un équipement numérique individuel massif mais des usages variables
Comme le montre l’étude du CREDOC, les taux d’équipement numérique ne font qu’augmenter dans la population, et chez les jeunes en particulier. En 2020, 91 % des 12-17 ans ont un smartphone. Cependant, le taux d’équipement ne peut à lui seul déterminer une unicité des usages. En effet, la notion de « Digital natives » a été largement démontée depuis plusieurs années, les usages étant divers en fonction du genre, mais aussi du contexte socio-économique et culturel dans lequel évoluent nos jeunes.
De nouvelles pratiques culturelles
« Les jeunes ne lisent plus ! » Combien de fois peut-on entendre cette phrase ? Avec la généralisation de l’équipement numérique des jeunes (massif même s’il connaît des disparités par ailleurs), leur rapport à la lecture a évolué. Une étude commandée par le Ministère de la Culture en 2016 montre que la lecture est une des activités préférées des 9-16 ans pour 3 jeunes sur 4.
Ils lisent différemment : la publication sous format numérique de mangas permet un accès facilité, les applications d’auto-édition et de commentaires par les pairs (Wattpad par exemple) impliquent d’autant plus les lecteurs dans des pratiques de lecture, d’écriture, de partage et de socialisation.
Les postures des élèves changent aussi, aussi bien pour lire que pour travailler. Ainsi le mobilier évolue-t-il également pour améliorer le bien-être et permettre une plus grande diversité des conditions d’apprentissage (fatboys, ballons, assises favorisant la concentration, Z-tools, etc…).
Enfin, l’accès à la culture se modifie lui aussi. Des musées précurseurs ont développé des visites virtuelles depuis les années 1990-2000, qui se sont généralisées, transformées et diversifiées à l’occasion du confinement de 2020.
Dans les établissements scolaires
Les pratiques numériques se massifient dans les établissements scolaires, au gré du développement des équipements individuels, des outils et des ressources qui engendrent de nouvelles pratiques aussi bien chez les élèves que chez les enseignants.
Ces pratiques ont amené à la certification de compétences numériques aujourd’hui basées sur le CRCN (Cadre de Référence des Compétences numériques) en classe de 3e et Terminale.
La multiplication des ressources numériques, largement diffusées sur internet, entraîne un besoin de médiation accru, que ce soit pour accéder, sélectionner, traiter ou critiquer les informations. Le professeur documentaliste a vu ses missions évoluer vers une généralisation de l’EMI – éducation aux médias et à l’information (Axe 1 de la circulaire de mission de 2017).
Comment penser les espaces documentaires des établissements scolaires ? La limite entre espaces physiques et numériques s’amincit, voire ces espaces se confondent.
Les confinements successifs en 2020 et la mise en place d’un enseignement hybride dans les lycées ont largement participé à une plus grande prise en compte de cette nécessité de penser l’accès aux ressources dans divers contextes de formation, de repenser le rapport à l’espace et au temps dans le cadre du centre de ressources.
Le rôle du professeur documentaliste
Dans sa lettre de mission, le professeur documentaliste est le « maître d’œuvre de l’organisation des ressources documentaires de l’établissement et de leur mise à disposition ». Il est indiqué très clairement qu’il doit organiser « de manière complémentaire les ressources pédagogiques issues de fonds physiques et numériques ».
Ainsi le professeur documentaliste participe-t-il à la veille et au choix des ressources numériques pour son établissement, en lien avec d’autres acteurs tels que le référent pour les usages du numérique. Depuis 2017, l’accès aux ressources est facilité par l’intégration du GAR dans les ENT : une porte d’entrée unique et sécurisée pour accéder à toutes les ressources numériques utiles aux usagers.
Son expertise est primordiale, en mettant en œuvre les compétences liés à la nature même de son métier :
- Organiser une veille d’informations
- Juger de la pertinence d’une ressource pour ses usagers
- Sélectionner des ressources face à l’abondance de ressources proposées, souvent payantes, mais aussi parmi les ressources numériques pour l’école institutionnelles, en liant l’intérêt, le coût, le public visé et le budget disponible
- Se rapprocher des équipes pour déterminer les choix.
Une diversité de ressources qui modifie les espaces
Au lycée La Martinière Duchère par exemple, le passage à une presse accessible en ligne et des pratiques informationnelles utilisant principalement le web ont eu un impact fort sur les espaces. Les archives papier des revues, disponibles désormais en ligne, ont laissé place à une salle de travail collaboratif dans laquelle les élèves peuvent à la fois travailler en groupe, lire et utiliser les tableaux comme support d’exercice ou de réflexion.
Un désherbage important des livres documentaires a également permis de reconquérir une partie de l’espace pour y installer des postes informatiques ainsi que des hubs pour le chargement des équipements individuels mobiles. Ceci a libéré les fenêtres afin de permettre aux élèves de s’installer sur des assises de type Z-tools pour lire ou travailler en bénéficiant de la lumière naturelle.
Des pratiques qui créent le besoin d’un nouveau mobilier
Aujourd’hui, les usages massifs du numérique dans l’éducation et des pratiques pédagogiques plus collaboratives mènent à l’acquisition de nouveaux mobilier comme les tables numériques du nouveau lycée Charles Mérieux à Lyon.
Un des axes pédagogiques de ce nouveau lycée, ouvert à la rentrée 2021, est le développement des « compétences du XXI° siècle » : autonomie, travail collaboratif, exercice de l’esprit critique et créativité notamment. Dans le lycée, de nombreux espaces ont été pensés pour répondre à ce besoins : un fablab lié aux salles de sciences et de technologie, un autre fablab généraliste, et également un medialab accessible depuis le centre de ressources.
D’utilisateurs, les élèves sont ainsi amenés à devenir davantage (co)producteurs de ressources.
Pour un centre de ressources plus « ouvert »
Des espaces réservés ?
Les centres de ressources regorgent d’espaces finalement peu ou pas accessibles aux usagers : salle des archives, salles attenantes utilisées pour des usages spécifiques, surfaces d’écriture. Permettre l’accès à ces espaces favorisent l’autonomie, l’engagement, la créativité des élèves.
Un espace « Hors les murs »
L’exploitation de tous les espaces de l’établissement permet aux élèves d’acquérir des connaissances, d’accéder à l’information ou encore à la culture. Les professeurs documentalistes investissent tous les espaces, y compris la cour de récréation ou en classe (en proposant par exemple des bibliobus). Ces pratiques développées largement depuis le confinement s’accompagnent de la virtualisation accrue des espaces documentaires.
Les catalogues documentaires et les ENT permettent désormais de rendre l’espace documentaire de l’établissement accessible à distance via internet : consultation du catalogue de ressources physiques et réservations en ligne, accès à des ressources numériques, documents pédagogiques ou de fonctionnement accessibles à tous.
Unicité de lieu, diversité des pratiques
Quels impacts sur l’enseignement dans un lieu hybride et multifonctionnel ? Les centres de ressources sont à la fois des lieux accessibles aux élèves en autonomie, et aussi l’espace de travail du professeur documentaliste : cela lui impose de réfléchir à l’organisation des ressources, des espaces mais aussi de réfléchir à ses gestes professionnels. À ce titre, l’espace doit correspondre à sa mission d’enseignement, qui se décline de diverses manières, tant dans les situations organisationnelles que sur différentes temporalités. Les aménagements spatiaux varient donc en fonction des situations et des objectifs pédagogiques. C’est un espace « enrichi » qui doit favoriser le travail collaboratif, le partage de connaissances entre pairs, le développement d’habiletés ou de compétences psycho-sociales.
Cultiver la curiosité
Jouer sur l’autodétermination des apprentissages, sur le désir d’apprendre et la curiosité des élèves en variant sujets et supports, c’est ce que l’enseignant-documentaliste motive lorsqu’il enrichit le fonds documentaire et conçoit sa mise en espace.
Favoriser l’autonomie, l’estime de soi
En permettant aux élèves de s’exprimer sur un sujet, d’exposer les réalisations d’élèves, le professeur documentaliste encourage la prise d’initiative et l’apprentissage entre pairs.
La pédagogie de projet est fondamentale dans l’exercice du métier de professeur documentaliste. En déterminant le cadre et les objectifs, il se place en posture d’accompagnateur, laissant ainsi une grande part d’initiative aux élèves pour leurs apprentissages. Ainsi chacun peut-il partager ses connaissances et mettre ses compétences à disposition du collectif pour la réalisation du projet.
Prendre la parole
L’enseignant documentaliste va organiser l’espace pour permettre aux élèves de renforcer leurs compétences orales : débats, ateliers théâtre, exposés de recherches… Tous les moyens et les prétextes sont bons pour travailler la communication, gérer son stress et renforcer la cohésion de groupe !
L’utilisation de tous les espaces du centre de ressources, y compris les espaces autrefois « réservés », vont pouvoir être investis pour différencier les situations d’apprentissage en fonction des objectifs pédagogiques, des personnalités et du niveau de maîtrise de ces compétences par chacun.
Aujourd’hui, le centre de ressources se présente donc comme un espace en perpétuelle évolution, avec l’objectif d’en faire un espace pédagogique « apprenant ».
Le professeur documentaliste peut ainsi évaluer le dispositif mis en place en questionnant périodiquement l’aménagement du lieu, les compétences développées par les élèves et en étant dans une réflexivité permanente sur sa pratique professionnelle.
La démarche de réaménagement d’un lieu tel que le centre de ressources est intrinsèquement liée au contexte : évolution des référentiels scolaires, des pratiques numériques et culturelles juvéniles, du public accueilli, de la temporalité et des différents acteurs !
Se laisser la possibilité de revenir sur certaines actions, de modifier son projet d’aménagement en cours de réalisation est indispensable : c’est un travail à (re)contextualiser !
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