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Comment les nouveaux espaces d’enseignement peuvent-ils être capacitants ?

photo d'un nouvel espace d'enseignement avec une configuration en ilots

“Interroger les postures et les gestes professionnels dans les nouveaux espaces d’enseignement”, telle était la problématique d’un des ateliers proposé lors des deux journées de séminaire Terrains d’Apprentissage, organisées par la cellule BEA. Ou en d’autres termes, comment les nouveaux espaces d’enseignement peuvent-ils être capacitants ?

Cet atelier, animé par Anne Delolme, professeure de mathématiques au collège Jean de Tournes, Axel Felizat, architecte DE et Jean-Luc Martinez, professeur des écoles et chargé de mission à l’IFÉ-ENS de Lyon, avait pour objectif de faire réfléchir les participants à leur rapport à l’espace classe. Plus précisément, l’idée était de venir questionner l’impact de l’aménagement des salles sur les manières d’enseigner et d’apprendre en croisant les différentes pratiques, expériences et représentations de chacun. Pour ce faire, les animateurs ont utilisé un outil développé dans un projet de recherche collaborative mené dans le cadre des Lieux d’Éducation Associés (LéA).

Mais avant toute chose, qu’entend-on par “nouveaux espaces d’enseignement” se demandent peut-être certains d’entre vous ? Et bien, c’est le pendant des “nouveaux espaces d’apprentissage”, NEA pour les initiés (ou pour nos lecteurs assidus). Cela fait référence aux espaces qui différent du traditionnel modèle de la “classe autobus”, comme par exemple les classes flexibles et les salles Lab, et qui incitent à une modification des manières d’enseigner et d’apprendre.

Et qu’entend-on par postures et gestes professionnels ? Dominique Bucheton, professeure des Universités en sciences du langage et de l’éducation caractérise les postures par “des manières langagières et cognitives de s’emparer d’une tâche” et définit les gestes professionnels comme étant des actions “pour faire agir ou réagir l’autre ». En d’autres termes, les postures et les gestes professionnels des enseignants regroupent un répertoire d’actions mis au service de l’apprentissage des élèves.

Ainsi, interroger les postures et gestes professionnels dans les nouveaux espaces d’enseignement permet de réfléchir au rapport à l’espace classe au prisme des différentes activités d’enseignement possibles visant à encapaciter enseignants et élèves.

Quel(s) rapport(s) aux espaces d’enseignement ?

Quoi de mieux qu’un petit sondage a priori pour sonder l’opinion des participants à l’atelier et ouvrir la discussion sur le rapport de chacun aux espaces d’enseignement ? C’est en tout cas ainsi que les animateurs ont choisi de plonger dans le vif du sujet et de “briser la glace” entre les participants. Ces derniers ont ainsi été interrogés sur les questions suivantes :

  • Dans quel sens comprenez-vous “un espace capacitant” ?
  • De quelle manière pensez-vous votre position dans la classe au cours d’une séance ?
  • De quelle façon l’aménagement de la salle de classe impacte-t-elle l’activité ?

Des “espaces d’enseignement capacitant”

À la question “dans quel sens comprenez-vous un espace capacitant ?”, les deux réponses qui ont obtenu le plus de votes sont :

  • Un espace capacitant est un espace qui permet de mieux varier les pratiques pédagogiques.
  • Un espace capacitant est un espace qui permet l’acquisition des compétences transversales.

L’idée d’environnement capacitant trouve son origine dans l’approche des capabilités développée par l’économiste Amartya Sen. Ce dernier se centre sur le « pouvoir d’agir » des acteurs, en considérant que l’exercice effectif d’un pouvoir d’action dépend à la fois des possibilités (les ressources) offertes par l’environnement mais aussi des capacités des personnes à exercer ce pouvoir. L’approche par les capabilités va permettre de croiser ce que l’individu est capable de faire et ce que son environnement le rend capable de faire.

Espaces d’enseignement, activités, acteurs : quelle synergie ?

Lorsque l’on parle de rapport à l’espace d’enseignement, on entend la position, les déplacements et les interactions des enseignants avec les élèves lors d’une séance pédagogique en fonction d’une ou plusieurs activités données.

A la question portant sur la manière dont l’aménagement de la salle de classe impacte (ou pas) l’activité, le choix des participants s’est majoritairement porté sur la réponse suivante : “je le prend en compte dans ma préparation en adaptant la configuration de la salle à mon activité ». Puis à la question “de quelle manière pensez-vous votre position dans la classe au cours d’une séance ? », les participants ont globalement répondu qu’ils se positionnaient physiquement “de manière à utiliser consciemment ou inconsciemment un répertoire d’actions ».

Ces deux réponses soulignent que, pour les enseignants ayant participé à cet atelier, les séquences pédagogiques configurent leurs postures et gestes professionnels, leurs manières de se mouvoir et d’interagir avec les élèves. Les enseignants et les élèves ne sont donc pas déconnectés de l’espace dans lequel ils évoluent et l’espace physique est bel et bien un paramètre important des conditions d’apprentissage.

Suite à ce sondage, les participants ont apporté des précisions à leurs réponses à chaud. Ils ont ainsi souligné l’intérêt “d’aménager de manière pérenne la salle pour éviter qu’il y ait de l’agitation au début et à la fin de la séance” et également l’intérêt de “demander aux élèves d’aider pour adapter la configuration de la classe ou de la changer soi-même, si le temps le permet ». Une autre dimension à garder en tête est que “pour une même activité, la configuration de la salle peut ne pas être la même en fonction des classes“. Enfin, les participants s’accordent sur “l’intérêt de la régularité du travail en îlots” tout en exprimant la difficulté de mettre en œuvre cette régularité parce que les salles en autobus restent le “modèle” de configuration le plus répandu.

Des espaces d’enseignement et quatre focales d’analyse

Les animateurs ont ensuite proposé aux participants de réfléchir à l’espace classe en s’appuyant sur quatre focales d’analyse :

  • Focale 1 : « L’activité de l’enseignant »
  • Focale 2 : « L’activité élève »
  • Focale 3 : « La position spatiale de l’enseignant »
  • Focale 4 : « Les interactions »
Logo du LéA ELiAN

Ces variables d’analyse ont été identifiées dans le cadre des travaux de recherche collaborative menés au sein du Lieu d’Éducation Associé ELiAN (Evaluation des Lieux Innovants d’Apprentissage avec le Numérique). Ce projet regroupe des enseignants de plusieurs collèges et lycées de l’académie de Lyon disposant d’espaces d’apprentissage innovants et menant un travail de recherche à ce sujet en lien avec un chercheur.

Les animateurs ont proposé de visionner un court extrait vidéo d’un cours d’histoire-géographie dans une salle Lab enregistrée dans le cadre du LéA ELiAN. Chacun des participants avait pour consigne de regarder la vidéo en se concentrant sur une des quatre focales. L’objectif était de s’approprier cette grille d’analyse de l’activité d’enseignement-apprentissage dans un espace classe.

Focale « Activité enseignant »

La première focale, peut-être la plus évidente pour les participants, est celle de l’activité enseignant. Suite au visionnage du cours d’histoire-géographie, les éléments suivants ont été relevés :

  • l’enseignant accompagne beaucoup les élèves et s’appuie sur les élèves pour faire émerger les savoirs
  • il y a peu d’énoncé formel de savoirs
  • un travail de préparation important en amont a manifestement eu lieu
  • cela requiert des habitudes pré-acquises pour que l’activité se déroule fluidement en classe.

Focale « Activité élève »

La deuxième focale, miroir de la première, est celle de l’activité des élèves. Les participants ayant choisi d’observer la vidéo à travers cette focale ont noté :

  • une difficulté à savoir si les élèves travaillaient en groupe ou individuellement dans configuration en îlots, qui amène au constat de fait que la configuration en îlots ne veut pas forcément dire travail de groupe
  • une différenciation individuelle importante : le professeur donne du travail suivant l’élève, en fonction de son rythme de travail et de son avancement dans la tâche donnée
  • que même lorsque les élèves travaillent plutôt individuellement, la configuration en îlots génère tout de même des interactions entre les élèves dans chaque groupe en rapport avec le travail proposé
  • que le moment au tableau est un résumé du travail, ce qui permet une préparation à l’évaluation et constitue un apport méthodologique.

Focale « Position de l’enseignant »

La troisième focale se concentre quant à elle sur la « position de l’enseignant ». Les principaux points d’observation relevés par les participants ont été les suivants :

  • l’enseignant se trouve au milieu du groupe classe, il n’y a pas de temps où il est face à toute la classe
  • l’espace tableau n’est pas un espace magistral, contrairement à la classe autobus fortement polarisée par le tableau situé à proximité du bureau enseignant.

Focale « Interactions »

La quatrième et dernière focale porte sur les “interactions”. Les participants ont constaté :

  • une multitude d’interactions enseignant / élèves, plutôt individuelles
  • le moment de synthèse avec les élèves ayant fini leur travail est quand à lui un peu plus « magistral », davantage dans une logique transmissive de la part de l’enseignant.

Nouveaux espaces et encapacitation

L’encapacitation est l’action de “donner la capacité pour faire quelque chose, donner la capacité à mobiliser des ressources endogènes pour mener l’action

Wiktionary

Au cours de cet atelier, les participants ont exploré un modèle d’analyse des postures et gestes professionnels dans les nouveaux espaces d’enseignement et ont confronté leurs propres expériences et rapport à l’espace classe. Ils se sont accordés sur le fait qu’enseignants et élèves se disent plus libres quand ils arrivent dans une salle Lab et que le rapport à l’autorité y est différent. Ainsi, la principale motivation à faire classe dans une salle Lab est la possibilité d’avoir un espace plus vaste et de pouvoir en modifier facilement la configuration.

Que l’enseignant se retrouve en salle autobus ou en salle Lab, chaque cours et chaque classe restent différents. L’activité d’enseignement dépend effectivement de différents paramètres, autres que spatial, comme le nombre d’élèves ou encore l’alchimie propre à chaque groupe classe. Le plus efficient, comme bien souvent est de pratiquer régulièrement, en salle Lab ou ailleurs, pour construire une habitude de travail commune.

Les nouveaux espaces d’enseignement, en particulier les salles Lab, peuvent encapaciter enseignants et élèves de par le changement de postures et de pratiques qu’ils induisent. Cela permet de tester d’autres configurations que la salle autobus, d’autres activités, d’autres interactions et de l’avis général cela favorise l’acquisition de compétences comme la capacité d’adaptation, la flexibilité et l’autonomie.

En outre, ce qui se passe en salle Lab ne reste pas en salle Lab. L’enseignant peut ainsi transférer en salle “classique” les outils et pratiques expérimentées en salle Lab (écrire sur les fenêtres…). Cette diversité des pratiques est au coeur du processus d’encapacitation des enseignants et des élèves.


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