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La Classe « autobus » a-t-elle un avenir ?

tableau représentant une scène de combat avec la légende "alors on va bouger les tables mais doucement et sans faire de bruits !"

L’atelier « La Classe “autobus” a-t-elle un avenir ? » s’est tenu jeudi 21 octobre 2021, dans le cadre des séminaires Terrains d’Apprentissage organisés par la cellule BEA . Cet atelier était animé par Caroline Aiello-Brottet (enseignante en Sciences de la Vie et de la Terre et chargée de mission à la DRANE de Lyon), Xavier Garnier (enseignant en mathématiques) et Jean-Luc Martinez (professeur des écoles et chargé d’étude à l’IFÉ-ENS de Lyon).

Regroupant des représentants de collectivités territoriales, des personnels de direction, des inspecteurs et des enseignants, cet atelier avait pour but de dégager une vision prospective et inter-catégorielle de la salle de classe conventionnelle, classiquement configurée “en rangées de sièges d’autobus”.

Pour favoriser le croisement des points de vue, les animateurs ont choisi d’utiliser la technique du Fishbowl (ou “bocal à poissons”), consistant à former d’une part un groupe central participant aux débats et d’autre part un groupe de “spectateurs externes”, chargés d’écouter et de prendre des notes sur le débat selon trois focales :

  • les atouts de la salle “autobus”, ce que l’on doit ou devrait en garder ;
  • les freins et les leviers pour intégrer des “salles Lab” en complément ou en substitution des salles d’enseignement “autobus” ;
  • les points de divergence et convergence entre participants sur les évolutions possibles et souhaitables des salles de classe.

Durant les très courtes périodes d’intervention des animateurs, pour assurer que toutes les focales étaient abordées, des permutations entre spectateurs et participants aux débats étaient possibles. Trois personnes se sont chargées de faire la synthèse pour chacune de ces focales. Les discussions durant la première phase de travail ont été riches et ont permis d’aborder des points de vue différents. Le travail de synthèse, ici présenté de manière assez détaillée, révèle la richesse de ces échanges.

Salle “autobus” : que devrait-on en garder ?

une photo d'une salle en autobus

Il ressort des échanges que si la salle “autobus” s’est historiquement imposée en France et reste le modèle souhaité par de nombreux acteurs éducatifs, c’est en raison d’atouts indéniables. Cette disposition de salle présente un côté rassurant pour les enseignants, les élèves et parfois même les parents ; elle permet une mise en place rapide et silencieuse. Les salles “autobus” permettent d’accueillir un effectif important d’élèves sur peu de mètres carrés.

Dans une salle “autobus”, « tout le monde sait où il va, et c’est confortable ».

Ce constat réalisé, une question se pose : que garder des classes “autobus” dans les établissements du futur ?

La salle de classe disposée en “autobus” présente une polarisation vers le tableau et le bureau de l’enseignant. Elle centre l’attention des élèves sur l’enseignant, ce qui conditionne à la fois la dynamique de parole au sein de la classe et la place de l’autorité. La disposition en “autobus” peut donc être pertinente, de manière ponctuelle, pour une prise de parole frontale. C’est souvent le cas en début de cours ou pour l’exposé d’un élève qui s’adresserait à l’ensemble de la classe.

Une salle “autobus” peut par ailleurs être dépolarisée, en ajoutant des tableaux aux murs par exemple. Ces supports verticaux, dédiés aux élèves, permettent que les élèves soient moins fixés sur l’enseignant. La salle “autobus” devient donc en partie adaptable, ce qui peut conduire à imaginer des salles “autobus” flexibles.

Les discussions font ainsi ressortir qu’il n’existe pas une opposition de principe entre les salles “autobus” et les salles Lab, mais qu’il y a au contraire une complémentarité.

Les discussions ont également pointé que le type d’enseignement en salle “autobus” semble répondre à ce qui est attendu par “le système”. Mais ce modèle est en train de changer : l’idée est maintenant davantage d’adapter un type de salle à un type d’enseignement, et de n’être enfermé par aucun prescrit. La disposition en salle “autobus” devrait donc, pour les participants à l’atelier, rester transitoire et laisser place à d’autres aménagements pour d’autres interactions en fonction de l’approche pédagogique souhaitée.

Pourquoi et comment développer des salles Lab dans les établissements scolaires?

plan d'une salle lab

Les freins au développement des salles Lab

Sur le terrain, de nombreux freins compliquent encore le développement de salles Lab dans les établissements.

La question de la continuité avec l’enseignement supérieur

De nombreux participants à l’atelier notent que, pour certains acteurs, la salle en “autobus” prépare aux modes d’enseignement que les élèves rencontreront dans leur parcours ultérieur, notamment dans l’enseignement supérieur. Cet argument fonctionne à double sens. Des enseignants de maternelle, de collège ou de lycée choisiraient un enseignement en salle “autobus” car plus conforme aux enseignements ultérieurs. A l’opposé, des enseignants conservent ce modèle car il serait celui que les élèves ont toujours connu. Cela trahit une méconnaissance de l’enseignement dans le supérieur qui tend à suivre les mêmes mutations que l’enseignement primaire ou secondaire. L’enseignement supérieur ne fonctionne plus exclusivement dans des salles d’enseignement polarisées, et s’y développent également des salles Lab et espaces plus flexibles que l’amphithéâtre traditionnel.

De nécessaires changements de postures et de pratiques pédagogiques

Il ressort également des échanges que la pratique en salle Lab requiert des pédagogies différentes. La gestion des relations entre personnes n’est pas la même (enseignant-élève, enseignant-groupe, élèves-élèves…). La gestion de la dynamique de parole au sein de la classe et en particulier du temps de parole de l’enseignant y est fortement modifiée. En particulier, le temps de parole de l’enseignant tend à se réduire et celui des élèves ou groupes d’élèves à augmenter. Il peut ainsi, pour l’enseignant, être difficile de reprendre la parole et regagner l’attention de tous dans une salle où les élèves sont en activité. Enfin, il y a souvent une nécessité de s’approprier physiquement les salles, leurs équipements et mobiliers spécifiques. Cela prend du temps et ne peut pas se faire en amont de l’installation des salles Lab dans l’établissement.

L’ensemble de ces freins appelle la mise en place de formations sur les enjeux et la pédagogie des salles Lab. Mais la rareté de ces formations, ainsi que leur temporalité de mise en place au vu de la temporalité du besoin, constituent à l’heure actuelle un autre frein.

Le manque de surfaces et d’espace dans les établissements scolaires

Un frein important est relatif aux dimensions d’espace et de temps dans le contexte d’un établissement scolaire. Dans de nombreux établissements, le besoin en salles de classe est important. Le modèle de la classe “autobus” est pratique car il permet de placer un nombre d’élève important dans peu d’espace (50m2 environ). Le concept de la salle Lab, favorisant la mobilité, nécessite davantage de surface. Il entre en contradiction avec cette logique optimisatrice. Il y a donc des freins relatifs à la création de salles Lab dans les surfaces actuellement disponibles dans les établissements scolaires.

La transformation des salles “autobus” en salles plus flexibles peut également devenir un frein sur le terrain. En y plaçant du mobilier déplaçable, en fixant des tableaux aux murs pour les élèves, en bougeant les tables, une salle “autobus” peut ponctuellement ou durablement devenir flexible. Néanmoins, le mobilier proposé et utilisé dans les salles Lab peut être volumineux et peu compatible avec la surface disponible dans les salles “autobus” (notamment les chaises à roulettes type Node qui ont un fort empâtement et ne sont pas empilables).

Le poids du fonctionnement quotidien et du regard des autres

Un dernier frein, relevé par les participants à l’atelier, est celui du poids du fonctionnement et du regard des autres. La mise en place du mobilier à chaque début de séance, et parfois son rangement à chaque fin de séance, constituent une charge pour l’enseignant. Ce qui peut générer fatigue et lassitude. La manutention nécessaire peut par ailleurs devenir source de tension car elle génère du bruit et impacte les pairs qui occuperont la même salle. Le mobilier doit-il être remis en place en fin de séance pour préparer la venue d’un collègue ? Si oui, un plan type de la salle de classe est-il prescrit dans l’établissement ? Ce plan type est-il celui d’une salle “autobus” ? Ces points doivent être abordés au sein des équipes pédagogiques sous peine de créer des tensions et une fatigue qui pourraient nuire à la volonté de transformation des salles “autobus” en salles flexibles par les enseignants motivés.

A l’opposé, un établissement peut acter dans son projet d’établissement qu’il n’y a pas une disposition imposée de la salle de classe et que chacun dispose tables et chaises selon sa pédagogie. A titre d’exemple, il peut être décidé que c’est l’enseignant entrant qui met la salle en place, dans la disposition qui lui convient. En théorie, ce type de projet impliquerait d’obtenir l’adhésion de l’ensemble de l’équipe pédagogique, alors que le mode de recrutement des enseignants par les établissements est à l’heure actuelle totalement décorrélé de l’adhésion au projet pédagogique collectif. Cela peut être vécu par certains enseignants comme un poids supplémentaire.

L’adaptation de la salle autobus en salle Lab a donc des limites. Dans de nombreux établissements, le choix a été fait de créer une salle Lab spécifique en prévoyant l’espace et le mobilier adapté. Le nombre de salles d’enseignement général peut s’en trouver réduit. Se pose alors le problème de la suroccupation des lieux et de la disponibilité des salles.

Face à ces problématiques d’espace, les participants à l’atelier ont relevé la possibilité d’une mutualisation et d’un partage des espaces pour créer des espaces flexibles. Ce point reste cependant sensible. La crise Covid et la fixation des élèves dans une salle de classe ont révélé l’attachement des enseignants à leur propre espace de travail. Par ailleurs, si le co-enseignement commence à se développer, il est loin de constituer une norme.

Enfin, le poids du regard des autres peut devenir trop lourd si, au-delà des collègues, les collectivités, les parents voire les élèves sont en opposition à l’enseignement dans des salles flexibles. Le temps nécessaire à l’évolution des mentalités est en effet difficilement appréciable. En particulier, l’acceptation du bruit de travail est un axe de réflexion qui reste à mener. Le silence est encore souvent rattaché, dans les représentations collectives, à un enseignement efficace, à un enseignant qui a de l’autorité sur sa classe, et qui la fera donc mieux travailler qu’un enseignant ayant une classe bruyante. Un travail sur la typologie du bruit serait certainement utile (bruit de travail, bruit de bavardages…) de même qu’un travail sur le respect des autres.

Des leviers pour opérer un changement

Face aux freins encore nombreux, de multiples leviers constituent autant d’atouts pour amorcer ou faire accepter des changements.

Les participants à l’atelier considèrent que les salles Lab permettent de dépolariser la classe et le savoir. Ils pensent également que ces salles permettent de décentrer une attention qui, dans la salle “autobus”, était fixée uniquement sur le professeur. Les enseignants habitués à enseigner dans des salles Lab trouvent que les élèves s’y sentent mieux et considèrent que le contact humain y est de ce fait de meilleure qualité. Il ressort enfin des échanges que l’enseignant voyant mieux ses élèves et ce que chacun fait dans une salle où il peut se déplacer à loisir, l’interaction enseignant – élève est de meilleure qualité.

photo d'une salle lab avec des tableaux sur différents murs

Les échanges lors de l’atelier pointent également que les salles Lab seraient plus propices à l‘appropriation de nouvelles compétences par les élèves. La diversification des formes d’enseignement est souvent en lien avec le développement de compétences de collaboration, d’autonomie… Ces compétences sont des attendus de la Charte pour l’école du XXIème siècle (texte de l’OCDE voir ici pour une synthèse en langue française).

Les participants à l’atelier relèvent enfin que la mise en place d’une salle Lab offre un terrain d’expérimentation pour les enseignants. Cette expérimentation autorise le droit à l’erreur dans la mise en place de nouvelles pédagogies.  Elle peut créer de nouvelles opportunités d’enseignement : pratique du co-enseignement, associant un enseignant ayant l’habitude des salles Lab et un ou des enseignants moins expérimentés, enseignement « porte ouverte »… Ce co-enseignement peut pallier le manque de formation continue et rassurer l’enseignant qui souhaite se lancer dans de nouvelles pratiques. Cet enseignement en duo offre, par ailleurs, des regards croisés sur les pratiques de chacun, source d’enrichissement pour les enseignants. La mise en place des salles Lab permet également la possibilité d’un décloisonnement, c’est à dire d’une mutualisation des espaces et du temps d’enseignement.

Pour conclure, la flexibilité des salles va de pair avec la flexibilité et l’agilité des différents acteurs : il est difficile de mettre en places des salles flexibles s’il n’y a pas de flexibilité des acteurs, qui acceptent d’autres façons de faire et de concevoir les choses.

Les évolutions possibles de la salle de classe

Les réflexions mettent en évidence qu’il y a davantage de convergence que de divergences des points de vue sur l’avenir des salles “autobus”. Un élément de divergence peut cependant être noté : le cours magistral. Le cours magistral, favorisé par les salles “autobus”, reste nécessaire pour certains acteurs alors que d’autres pensent, à l’opposé, que ce format de cours n’est plus indispensable à l’enseignement d’aujourd’hui et surtout de demain.

Il ressort de cet atelier un consensus sur la nécessité d’une plus forte modularité des espaces scolaires. L’absence de modularité et le format unique de la salle “autobus” imposent en effet trop de contraintes à la liberté pédagogique de l’enseignant. Cela s’oppose au besoin de communiquer avec les élèves et de faire évoluer les modes d’autorité, que la salle “autobus” a imposé durant des années. La dépolarisation des salles de classe impacte positivement les modes de communication au sein de la classe, ainsi que les notions d’autorité et de contrôle.

Pourtant, la classe “autobus” continue à s’imposer comme un fait dans l’établissement scolaire et cette dominante a du mal à s’effacer. Dans l’imaginaire collectif, la classe type est la classe “autobus”. Quand les différents acteurs, parents, élèves, enseignants parlent de LA salle de classe, ils évoquent implicitement une salle de classe “autobus”. Il reste donc un travail à engager en profondeur pour faire évoluer cette représentation.


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